Mode ZEN
Repas de famille et disputes
La société française dont la cuisine vient d'être classée au patrimoine mondial accorde, de nos jours encore, une place particulière au repas. Le repas du soir en semaine et les repas du week-end sont considérés comme des moments familiaux par excellence. Ce sont même parfois les derniers instants qui attestent d'une vie de la famille. Dans ces conditions, ils sont les théâtres privilégiés des dynamiques qui régissent celle-ci : tensions, affects, conflits.
Le repas dans le psychisme
L'instant du repas est un temps nécessairement chargé puisqu'il réfère aux premiers instants de la vie alors que nous n'étions pas encore capables de survivre sans l'aliment porté par l'autre. Dès que nous mangeons, nous ouvrons la porte à des pulsions archaïques liées aux pulsions de vie. L'alimentation est en effet, un des besoins fondamentaux du vivant. Alors que nous passons à table avec la fratrie, les parents ou les aïeux nous pouvons visualiser les liens vitaux tissés entre ces différents membres.
La sphère du nourricier est dominé par le maternel. Il est une déclinaison inconsciente du rapport des individus à leur mère. L'humain mange ainsi que les mères avant lui l'ont transmis. La nourriture est, très tôt dans l'existence d'un enfant, le support de ses relations affectives (à la maman d'abord, aux autres ensuite). Etre satisfait sur le plan alimentaire constitue, dans la prime enfance, les prémisses inconscients de la "mère suffisamment bonne".
La sphère du nourricier est dominé par le maternel. Il est une déclinaison inconsciente du rapport des individus à leur mère. L'humain mange ainsi que les mères avant lui l'ont transmis. La nourriture est, très tôt dans l'existence d'un enfant, le support de ses relations affectives (à la maman d'abord, aux autres ensuite). Etre satisfait sur le plan alimentaire constitue, dans la prime enfance, les prémisses inconscients de la "mère suffisamment bonne".
Le repas de famille, une "grande bouffe" inconsciente
Les travaux anthropologiques de Freud ont montré la valence inconsciente du repas sur le plan du fonctionnement du groupe voire de la société. Dans son mythe de l'homme des origines, il fait du repas de la horde l'instant fondateur du lien social. Les fils, jusque-là brimés par un père omnipotent, firent alliance pour le détruire, c'est-à-dire l'ingérer. Pris de remords, ils instituèrent la culpabilité comme garantie de ne plus jamais reproduire ce crime. Ce faisant, le père primitif devînt un totem, un point de liaison entre tous les hommes. Les banquets et autres profusions de nourriture sont à mettre en résonnance avec ces temps immémoriaux. Lorsque personne ne manque de rien dans un repas de famille, c'est symboliquement une marque de concorde. Implicitement chacun est assuré d'avoir une place à table, c'est-à-dire de jouir des mêmes pouvoirs que son voisin. Le repas de famille est inconsciemment une réédition de ce repas des origines lorsque tous les hommes furent libérés du joug paternel et désormais égaux.
La violence inconsciente du "manger"
Mais l'enfant apprend très tôt qu'en mangeant, il se rend maître des objets. Manger c'est "incorporer l'extérieur pour le transformer en soi". Dans l'incorporation, il y a de la destruction. Le repas codifie et civilise cette violence latente. En l'encadrant de règles de savoir-vivre, les hommes ont masqué les mouvements agressifs qui le sous-tendent. Que chacun ait son assiette, sa fourchette, son morceau est le voile mis sur le désir de garder pour soi la totalité. Or, il n'y a d'interdit que s'il y a tentation. Lors des repas, tout humain retourne à un état antérieur de civilisation. Il accorde une place plus importante à ses pulsions inconscientes qui sont souvent dominées par des sentiments hostiles. L'homme s'y révèle un loup pour l'homme. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'au moment où les hommes fonctionnent sur un registre psychique plus primitif voire primaire, des tensions et des conflits surgissent.
Le repas, une démonstration de sa place dans la famille
Ainsi, lorsque toute la tribu se retrouve autour de la table, c'est un lieu privilégié pour que les inconscients se télescopent Outre le fait que c'est souvent aujourd'hui le seul lieu de retrouvailles garanties, chacun y arrive avec son histoire et son rapport à la nourriture, au lien affectif. Il est surprenant de voir comment un repas sert l'expression des relations entre ses protagonistes. Telle grand-mère fera un certain plat pour "faire plaisir" à tel enfant, etc… En réalité, le repas devient le lieu où tous peuvent sentir la place qu'ils occupent au sein du groupe. Le repas met en scène rivalités, jalousies et non-dits. Afin d'éviter que le moment tourne trop régulièrement au règlement de comptes inconscient, il s'agit probablement de comprendre ce qui s'y joue pour nous, de souffrances, d'insécurités, de remises en causes. Devenus adultes, nous sommes en réalité capables de remettre en chantier les constructions affectives et les représentations qui reposent sur l'enfant alimenté que nous avons été. Puis parfois, pour le bien de tous, il s'avère utile d'opter pour un repas de famille qui se tient dans un lieu moins affectif que la maison (restaurant, déjeuner sur l'herbe, …).