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Le film d’un travail
A l’origine de cet article se trouve une formation sur les risques psychosociaux animée entre autres, par Marie Pezé, et à laquelle j’ai eu la chance de participer récemment. Afin d’illustrer ses propos et de nous donner matière à travailler, un film nous fut présenté. Il mettait en scène un patient dont la parole décrivait le vécu d’un salarié victime de maltraitances au travail.
Une question de regard
Par définition, ce qui se joue dans le cabinet d’un psychologue et d’un psychanalyste se cache aux regards : le regard d’autrui d’abord car ce qui se déroule est secret ; son propre regard ensuite dans la mesure où le patient est invité à suspendre toute activité critique envers ses productions psychiques. Le seul qui ‘regarde’ au sens d’observer et d’analyser est le ‘psy’. Il lui faut donc faire le deuil du plaisir d’exposer son art et de donner à voir ses compétences.
A première vue, ce ‘plaisir’ peut apparaître bien égoïste, voire narcissique… Pourtant, tous les individus, quel que soit leur métier, ont besoin de reconnaissance, et les ‘psy’, bien que cette nature leur soit parfois refusée, sont bien des travailleurs comme les autres, c’est-à-dire des individus chez qui œuvre la subjectivité du travail.
Au-delà de cette dimension, le regard porté sur le travail tient aussi place de jugement lorsqu’il est posé par des pairs. Il permet en effet au thérapeute de questionner ses pratiques, de les faire évoluer et d’être reconnu membre d’une communauté professionnelle au sein de laquelle se développent des règles de métier qui ouvrent la voie à la qualité du travail.
Cinéma et subjectivité
Le film dont il est question ici donnait à voir le résultat d’un travail thérapeutique de longue haleine (plus de 2 ans) auprès d’un salarié victime d’une névrose traumatique suite à des maltraitances répétées sur son lieu de travail. Centré sur le patient, tel le regard du clinicien du travail, il offrait un récit structuré au travers duquel le sujet explicitait les changements organisationnels opérés au sein de son entreprise, leurs conséquences en termes d’évolution et de dégradation des conditions de travail, la transformation du management en pratiques pathogènes, la mise au banc, l’isolement puis la décompensation.
Il exposait le résultat du travail mené par le thérapeute et le patient, et dont la qualité se dévoilait aux yeux des professionnels de la santé au travail que nous sommes, et qui connaissons les états de détresse dans lesquels arrivent nos patients, le corps replié, les mains tremblantes et la voix détruite par une angoisse qui étouffe les sons. Il donnait aussi à voir l’intimité du cabinet du thérapeute, laissait suspendre les processus transférentiels et s’appréhender le Travail de celui qui filme… car ce film était en lui-même le résultat d’un autre travail.
Quel plaisir ais-je ressenti en observant ce beau travail ; mon travail ! Quel plaisir aussi de savoir mes collègues, acteurs de la santé au travail mais autres professionnels, l’observer également ! La pluridisciplinarité est essentielle en clinique du travail mais en même temps qu’elle forme des équipes et allie des compétences, elles prend le risque d’isoler des professionnels dans leurs pratiques : champs d’intervention spécifiques à chacun (santé physique pour les uns, santé psychique pour les autres, ergonomie pour certains, respects des règles en matière de sécurité au travail pour les derniers…), pratiques différentes, identités professionnels distinctes et pour combler le tout, règles des secrets divergentes (le secret professionnel du psychologue diffère de celui du médecin qui diffère également de celui de l’assistante sociale…)
Images de travail
Le plaisir ressenti lors de cette séance (dans son double sens, séance de cinéma et séance de travail) m’a donné envie de me pencher sur les processus subjectifs naissant de l’acte de filmer le travail. A en juger par cette citation d’Edgar Morin, il y a bien là matière à… ‘travailler’ : « Ce n’est pas un hasard si le langage de la psychologie et celui du cinéma coïncident souvent dans les termes de projection, représentation, champ, images. Le film s’est construit à la ressemblance de notre psychisme total. »(1)
Tout d’abord, le film est en lui-même le résultat d’un travail commun entre le cinéaste, le réalisateur, le scénariste… ensuite il est le témoin plus ou moins objectif (de la fiction au documentaire) d’une réalité et d’un point de vue porté sur cette réalité. Enfin, il constitue une source d’informations à partir de laquelle se forment des représentations sociales, des stéréotypes, des croyances, des idées et même parfois des idéologies.
Mais avant tout, le film du travail, en se portant sur les gestes, les règles, les rythmes, le poste de travail, les conditions de travail, en donnant à voir les sens en action, la métisse qui se développe au sein du travailleur, et en accédant à une part des contraintes mais aussi des plaisirs… il tend à montrer le réel du travail, à rendre visible ce qui est invisible… Ici se trouve l’origine du plaisir que j’ai ressenti lors de cette ‘séance’.
(1) E. Morin, Le Cinéma ou l’homme imaginaire. Essai d’anthropologie, 2008, cité dans la revue Internationale de psychopathologie et de Psychodynamique du travail, Travailler, Dossier Cinéma et travail, A. Jeantet, n° 27, 2012