Ford (1863 – 1947) était un industriel américain. Dans son livre Ma vie, mon œuvre (1924), il développa sa conception de l’organisation du travail, c’est-à-dire son principe d’organisation scientifique du travail ainsi que l’articulation qu’il voyait entre systèmes de production et systèmes de consommation. Il justifiait ainsi sa politique salariale de hauts revenus comme facteurs bénéfiques pour les entreprises (les salariés réinvestissant leurs revenus dans les produits de consommation).
« Notre propre réussite dépend en partie de ce que nous payons, si nous répandons beaucoup d’argent, cet argent se dépense, il enrichit les négociants, détaillants, fabricants et travailleurs de tous ordres et cette postérité se traduit par une augmentation de la demande de nos automobiles ».
Cet argument repose sur le lien entre production de masse et consommation de masse.
Ford méprisait la hiérarchie et l’organisation dans ses aspects les plus formels, tout autant que l’administration (gestion, règles comptables, organigramme etc.) Sa conception s’affranchissait donc de toute forme de contrôle.
En revanche, ses principes d’organisation du travail étaient extrêmement rigoureux et basés sur la technique de production semi-automatique. Il s’agissait d’un système de convoyeurs et de moyens de manutention qui permettaient des déplacements de la matière de façon constante jusqu’au poste de travail. La chaîne semi-automatique supprimait ainsi la marche à pied, peu productive, mais aussi les temps morts et les ralentissements.
Ce faisant, il supprima aux ouvriers leur maîtrise du temps d’exécution, ils perdaient toute autonomie et se trouvaient insérés dans un système basé sur une logique de flux. Par ailleurs, la déqualification était poussée à l’extrême car les machines étaient de plus en plus spécialisées. Auparavant, les machines utilisées étaient universelles, elles pouvaient donc être adaptées à la tâche à effectuer. Avec Ford, c’est à l’homme de se plier à la technique. L’une des premières conséquences fut donc de disqualifier le travail et de réduire considérablement la demande de main d’œuvre qualifiée.
Le principe de production de masse du fordisme se basait sur des machines qui permettaient une production à grandes échelles et de grandes séries. Cela renvoyait donc à une très forte standardisation de la productivité, qui nécessitait une consommation de masse pour perdurer : d’où la politique de hausse des salaires. L’efficacité de ce système fut remarquable :
En 1913, les chaînes de montage nécessitaient 12h23 pour monter un châssis. Avec le fordisme, le temps passa à 1h33. En 1908, la Ford T coûtait 850$, 600$ en 1912 puis seulement 360$ en 1916.
Le modèle organisationnel du fordisme s’est généralisé et entra en vigueur en France durant les 30 glorieuses où il perdura jusqu’au premier choc pétrolier en 1974. L’effort fut mis sur la rationalisation du travail mais fut appliqué avec trop de brutalité. D’importants conflits sociaux en découlèrent. Les directions furent contraintes de réduire les théories de Ford et de Taylor au profit de théories plus humanistes telles la théorie des relations humaines.
Fayol était un ingénieur contemporain de Taylor. Il fonda sa théorie sur sa propre expérience et se fit connaître en parvenant à reprendre des entreprises déficitaires. Il attribua ce succès à sa façon d’administrer le travail : Fayol ne travaillait pas sur l’exécution des tâches mais sur les procédés administratifs ‘Administration industrielle générale’ (1916)
Fayol distinguait 6 grandes fonctions essentielles à toutes les entreprises, celles-ci concernaient les actions de la direction, lesquelles peuvent s’expliquer en 4 points concernant l’administration du travail :
Il s’agit en fait de la naissance de la gestion.
Ces 4 types d’actions commandent 6 grandes catégories d’opérations :
Fayol cherchait donc à rationaliser l’ensemble du fonctionnement de l’entreprise, en mettant l’accent sur les fonctions administratives, lesquelles, selon lui, bloqueraient le développement de l’entreprise.
Administrer : prévoir, organiser, commander, coordonner, contrôler : son programme d’actions consiste à définir un objectif puis à identifier les lignes de conduite à tenir, les étapes nécessaires et les moyens à privilégier. Il s’agit donc d’une informatisation de la stratégie d’entreprise.
Organiser : Il s’agit de doter l’entreprise de tout ce qui lui est nécessaire pour son développement. Cela recouvre l’organisation matérielle et sociale parmi lesquelles le personnel d’encadrement doit être privilégié car il forme l’organigramme, c’est-à-dire les fonctions de l’entreprise.
Les principes d’organisation : Fayol organisait sa ligne de hiérarchie de façon linéaire et verticale. Il prévoyait également une unité de commandement : chaque agent ne doit recevoir d’ordres que d’un seul responsable, d’où un besoin précis de définition du besoin d’encadrement (15 ouvriers pour un contremaître, 4 contremaîtres pour un responsable supérieur).
Le commandement : Il nécessite une connaissance approfondie du personnel afin « d’éliminer les incapables », de connaître les conventions d’actions, de donner le bon exemple, de faire des inspections périodiques du corps social, de réunir les principaux collaborateurs au cours de conférences dans lesquelles se préparent l’unité de direction et la convergence des efforts. Fayol insistait sur le fait qu’il ne fallait pas se laisser absorber par les détails mais garder une vision d’ensemble de l’organisation. L’encadrement doit, selon lui, assurer et coordonner la circulation des informations, veiller à l’action et à l’initiative du personnel, contrôler les faits et les dysfonctionnements, et respecter un système de sanction afin que le contrôle soit suivi de faits.
L’apport principal de Fayol tient à sa formulation rigoureuse des fonctions administratives. Cependant, même s’il prend soin de souligner que l’organisation de l’entreprise doit se faire avec souplesse, il n’en donne qu’une vision théorique et ne l’applique guère. Ses travaux étaient toutefois avant-gardistes et certains de ses principes sont encore appliqués aujourd’hui tels que la séparation entre des activités techniques et des activités de gestion des cadres ou encore la gestion des ressources humaines dans l’organisation.
Fayol s’inscrit dans un schéma taylorien mais va plus loin en généralisant les principes à l’ensemble de l’organisation, il offre donc une vision plus complète de l’Homme au travail. Il s’intéressa aux questions de motivation et de stimulations au travail, il prônait l’intéressement et affirmait que tout n’est pas question de salaire. Il voulait donc impliquer les salariés dans l’organisation et renvoiyait ainsi à la culture de l’entreprise qui traversa les années 80’s.
Fayol s’intéressait également au passage entre l’individu et le collectif. Il considérait en effet qu’il ne pouvait y avoir d’individu isolé dans l’entreprise. En cela, il s’opposait à Taylor qui pensait que les performances d’un individu seul étaient égales à celle d’un groupe. Fayol pensait l’entreprise comme un groupe social, en insistant sur la nécessaire coordination, communication et représentation collective du personnel. Il annonçait donc le courant de recherche de l’école des relations humaines.
Tourraine (1) développa une sociologie de l’action analysant le passage d’une société industrielle à une société post-industrielle marquée par un ensemble de mouvements sociaux. Il entreprit notamment une étude du travail au sein des usines Renault qui permit de comparer les évolutions par rapport aux principes de Ford, de Taylor et de Fayol.
Certains facteurs montrent un recul :
D’autres éléments font figure de progrès :
Tourraine démontre donc que les tensions sont aujourd’hui si fortes dans les entreprises que le simple freinage des ouvriers finira par se transformer en véritables résistances. Les encadrements tentent donc de limiter les communications entre ouvriers en isolant les travailleurs et en cassant les dynamiques de groupe. Enfin, pour limiter l’aliénation des salariés, les affectations sont régulièrement modifiées.
Pris dans la rationalisation du travail, Taylor et Ford ont oublié le facteur humain. Celui-ci fut mis en avant par l’école des relations humaines, elle-même née des travaux de Mayo.
L’expérience de Mayo eut lieu au sein de la Western Electric Company entre les années 1924 et 1930. Elle débuta d’un paradoxe : les ouvrières bénéficiaient de bonnes conditions matérielles, de salaires assez élevés et d’avancées sociales relativement importantes pour l’époque, de plus, elles se disaient satisfaites. Pourtant, le taux d’absentéisme était élevé, le freinage augmentait et la qualité de production était médiocre.
Les premières démarches furent donc d’améliorer les conditions de travail. On commença par augmenter l’éclairage. On fit deux groupes : le groupe expérimental travailla sous une lumière artificielle qu’on augmenta, le groupe contrôle ne vit pas varier ses conditions. Les résultats montrèrent une augmentation de la production dans les deux groupes. On conclut donc à l’absence d’effet de l’éclairage.
Un nouveau protocole expérimental fut mis en place afin de comprendre ces résultats. On sélectionna donc des ouvrières acceptant d’être isolées du groupe afin d’effectuer leur travail sous les yeux d’un observateur. Lorsque toutes les conditions de travail furent améliorées, la production augmenta mais resta haute lorsqu’on les supprima, et encore lorsqu’on les restaura progressivement. Toutes les situations expérimentales testées eurent pour conséquence une augmentation de la production de l’ordre de 20%.
Conclusions : la variation des conditions de travail n’est pas en lien avec la production. C’est l’observation du travail des ouvrières qui implique des changements en lui-même. En effet, le groupe contrôle augmenta également sa production, sachant qu’il représentait la base de travail. Il s’agit de l’effet Hawthorne.
Deux facteurs sont particulièrement importants :
Réserve : si l’effet Hawthorne reste encore aujourd’hui incontesté, les entreprises ne l’exploitent pas car à long terme, la production se stabilise parce qu’il n’y a plus d’expérience.
Cette expérience démontra la prévalence de la dynamique de groupe : il existe une norme qui contraint chacun à produire autant que les autres. La production diminue donc s’il existe des tensions dans le groupe.
L’expérience de Mayo se poursuivit par une série d’entretiens et une grande campagne afin d’affiner les résultats. Il démontra ainsi que :
Une série de travaux sur le groupe prolongea les travaux de Mayo. D’inspirations psychanalytiques, ils posaient l’hypothèse de liens affectifs à l’intérieur du collectif. Moreno et Lewin furent les initiateurs les plus célèbres de ce courant de recherche en travaillant sur la sociométrie et la dynamique de groupe (leadership etc.)
Mayo démontra en effet l’importance de la vie de groupe mais pointa également les processus du conformisme : le groupe a une influence sur chacun de ses membres. Il souleva l’existence d’une norme implicite qui conduisait l’ensemble des ouvrières à produire autant que le groupe observé.
Les entretiens réalisés auprès des ouvrières permirent d’identifier 4 règles de fonctionnement implicites :
La vie de groupe est primordiale dans sa dimension informelle, elle s’exprime par l’antipathie ou la sympathie et a une incidence directe sur la production. L’école des relations humaines considère donc la dimension relationnelle comme primordiale, tant entre les membres d’un même niveau hiérarchique qu’entre des niveaux différents.
Les principes tayloriens sont donc profondément remis en cause :
Mayo ne prend jamais en compte l’individu, il ne considère donc aucune initiative personnelle ou individuelle. Par ailleurs, il ne dit rien des débuts du socialisme, du syndicalisme ou encore du travail des femmes.
Son intérêt majeur fut de remettre en question l’idée d’une motivation strictement économique : ‘l’homo économicus’ est bousculé. Par ailleurs, il montre que la spécialisation de la tâche n’est pas forcément efficace en matière de productivité puisqu’une intensification de la spécialisation diminue la dynamique de groupe.
Les travaux de Mayo se prolongèrent dans les années 50’s avec le Tavistock Institut et la théorie socio-technique de l’organisation qui montrait que la technique n’était pas neutre vis-à-vis de la dynamique de groupe.