L’enfant « maladroit » ou « rêveur » : simple trait de caractère ou rôle assigné ?

Certain·e·s enfants semblent naturellement distrait·e·s, maladroit·e·s, la tête ailleurs. Mais derrière cette apparente spontanéité peut se cacher un phénomène plus complexe : le poids d’un rôle assigné par le système familial, à leur insu. Entre caractère authentique et fonction psychique pour la famille, la frontière est souvent plus floue qu’on ne le croit.
Le rêveur ou la soupape émotionnelle
Dans de nombreuses familles, l’enfant qualifié de « rêveur » ou de « maladroit » assume inconsciemment une fonction apaisante. Face à des tensions latentes ou à des attentes implicites, son inattention devient une manière de détourner l’attention collective, de soulager l’anxiété ambiante. En incarnant celui ou celle « qui n’est pas tout à fait là », il ou elle permet au groupe de ne pas regarder certaines réalités douloureuses. La maladresse devient alors moins un défaut individuel qu’une stratégie de survie émotionnelle pour l’ensemble du système.
Une assignation progressive
Ce rôle ne s’installe pas en un jour. Au fil des remarques (« tu es toujours dans la lune », « fais attention ! »), des comparaisons (« regarde ton frère comme il est appliqué »), l’enfant intériorise l’image qu’on lui renvoie. Il ou elle finit par se définir à travers cette étiquette, renforçant sans le vouloir les attentes de son entourage. Le cercle est ainsi bouclé : plus il ou elle est perçu·e comme rêveur·se ou maladroit·e, plus cette identité devient difficile à quitter.
L’impact sur le sentiment de compétence
Être enfermé·e dans un rôle de distraction ou de « maladresse » peut fragiliser l’estime de soi. L’enfant peut en venir à douter de ses capacités à réussir, à s’organiser, à agir avec efficacité. À l’âge adulte, cela peut se traduire par une difficulté à se sentir légitime, une tendance à se dévaloriser, ou une peur d’échouer avant même d’essayer. Le poids du regard familial initial continue d’agir en profondeur, bien au-delà du cadre domestique.
Retrouver sa latitude intérieure
Sortir de ce rôle passe par la reconnaissance que cette identité n’est pas innée, mais a été co-construite. Se réapproprier ses compétences, ses forces et ses capacités d’attention réelle permet de desserrer l’étau des étiquettes. Il ne s’agit pas de nier ses moments de distraction ou de rêve, mais de retrouver la liberté d’être multiple : concentré·e, créatif·ve, pragmatique ou contemplatif·ve, selon les besoins du moment.