Psychologie

Longtemps considéré comme la forme noble du journalisme, le reportage incarnait une promesse : celle d’un regard situé, incarné, attentif. Il disait la présence du journaliste, son immersion dans un lieu, une réalité, une parole. Pourtant, dans la presse écrite contemporaine, cette forme semble s’effacer lentement. La rareté du terrain, la multiplication des formats courts et la pression économique poussent vers une production rapide, souvent à distance. Le reportage n’a pas disparu, mais il s’est replié dans les marges, parfois relégué à des titres spécialisés ou à des publications longues. Cette érosion silencieuse a des conséquences profondes sur la manière dont l’actualité est transmise et reçue.

Une pratique exigeante devenue coûteuse

Faire un reportage, c’est partir, rencontrer, rester, écouter. Cela suppose du temps, du budget, une prise de risque éditoriale. Dans un quotidien sous tension financière, le reportage est souvent le premier format sacrifié : trop long à produire, trop incertain dans son rendu, trop difficile à calibrer pour les attentes d’audience. Une rédactrice en chef raconte avoir réduit de moitié les départs sur le terrain au sein de sa rédaction régionale, faute de moyens. Le recours aux dépêches, aux contenus agrégés ou aux témoignages à distance se généralise. Ce n’est pas de la paresse, mais un ajustement aux contraintes du moment. Pourtant, sans présence, la réalité devient abstraite : les faits perdent leur épaisseur, les voix se réduisent à des citations.

Une perte de complexité dans la restitution

Le reportage n’apporte pas seulement des informations nouvelles, il offre une mise en contexte incarnée, une manière d’approcher le réel autrement que par chiffres et déclarations. Sa disparition progressive laisse place à des articles plus factuels, plus normés, moins sensibles à l’ambiguïté du terrain. Un journaliste indépendant témoigne d’un reportage refusé par plusieurs titres, jugé « trop descriptif », « pas assez orienté ». Ce refus en dit long : ce n’est plus seulement la présence qui dérange, c’est la lenteur du regard, la densité du vécu. Sans cet ancrage, l’article glisse vers le commentaire ou l’analyse rapide. On parle du monde sans y être allé. Le journalisme devient parole surplombante, moins enracinée, plus fragile.

Une attente encore vive du côté des lecteurs

Pourtant, le besoin d’un journalisme incarné reste fort. Les lecteurs ne rejettent pas la longueur ou la densité, à condition qu’elles soient portées par une expérience authentique. Le succès de certaines revues comme XXI, La revue dessinée ou Les Jours témoigne d’un désir de récit situé, de lenteur assumée, de présence réelle. Ces formats trouvent leur public, mais souvent en dehors de la presse quotidienne classique. Le paradoxe est là : ce que la presse ne peut plus toujours produire, d’autres espaces le proposent. Repenser la place du reportage ne relève donc pas seulement de la nostalgie, mais d’une stratégie possible de reconquête du lien avec les lecteurs.

Retrouver une parole qui s’est déplacée

Le reportage, en disparaissant partiellement, emporte avec lui une certaine idée du journalisme : celle d’un regard qui se rend disponible, qui accepte de ne pas tout contrôler. Sa disparition n’est pas inéluctable, mais elle interroge notre rapport à la présence, au rythme, à la narration. Revaloriser cette pratique, c’est redonner sens à la distance : non pas celle qui sépare, mais celle qui oblige à s’approcher autrement. Dans un monde saturé d’opinions et de commentaires, le reportage est peut-être ce qui manque le plus : un silence au milieu du bruit, une parole patiente au cœur de l’instantané.

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