Psychologie

Sur les plateformes de streaming, de plus en plus d’utilisateurs ne regardent pas un programme, ils en survolent plusieurs. Suggestions infinies, extraits qui démarrent seuls, classements personnalisés : tout pousse à l’exploration rapide plutôt qu’à l’engagement prolongé. Ce n’est plus nous qui cherchons quoi regarder, c’est l’interface qui nous guide, nous retient, nous déplace. Ce nouveau mode d’attention, instable mais soutenue par la promesse constante de mieux, transforme notre rapport à l’image, au récit, à la décision.

Une sollicitation constante, sans direction claire

Les plateformes n’invitent pas à choisir, mais à rester. Elles construisent un environnement où chaque arrêt est une transition, jamais une destination. L’algorithme propose, relance, interrompt, multiplie les pistes. Un utilisateur témoigne passer 30 minutes à zapper sur Netflix sans rien lancer, préférant la navigation à la décision. Ce phénomène, loin d’être anecdotique, révèle un déplacement du plaisir : on ne cherche plus à voir, mais à envisager ce qu’on pourrait voir. Ce zapping algorithmique crée une forme d’occupation mentale continue, moins centrée sur l’image que sur le choix différé.

Une attention fragmentée mais captée

À force de passer d’un contenu à l’autre, notre attention se découpe, se redéploie, mais reste prisonnière de la plateforme. Ce n’est pas une distraction au sens classique, mais une captation fluide, rendue agréable par le design, le mouvement, le sentiment de contrôle. On survole une bande-annonce, on revient sur une scène, on recommence une série laissée en suspens. Ce rythme déstructuré crée une fatigue douce, difficile à nommer, mais bien réelle. Il devient difficile de se concentrer sur une œuvre longue, d’entrer dans un récit exigeant. Ce n’est pas la faute du contenu, mais de la logique de circulation imposée par l’outil.

Un espace où la promesse l’emporte sur l’expérience

Dans cet écosystème, le potentiel de satisfaction devient plus important que la satisfaction elle-même. Ce que l’on pourrait voir l’emporte sur ce que l’on voit vraiment. Les vignettes séduisent plus que les épisodes, les résumés plus que les scènes. Ce glissement transforme l’expérience de visionnage en une succession de préambules. Un spectateur raconte préférer « naviguer sur Disney+ que regarder Disney+ ». Cette dissociation est centrale : elle signale que le plaisir ne vient plus du récit, mais de l’interface. Le choix, en soi, devient source d’excitation — puis de lassitude.

Reprendre le fil de sa propre attention

Face à ce zapping assisté, il ne s’agit pas de revenir à la linéarité, mais de retrouver une capacité d’engagement volontaire. Prendre le temps de choisir, de rester, de suivre une œuvre jusqu’au bout devient un acte délibéré. Ce n’est pas un retour à l’ancien modèle, mais une résistance douce à la dispersion. Les plateformes peuvent encore être des espaces de découverte, à condition que l’utilisateur retrouve une place active. Car ce que l’algorithme déplace, ce n’est pas seulement notre attention, c’est notre manière d’exister dans l’image.


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