Psychologie

On ne danse plus sans filmer. On ne rit plus sans publier. On ne fête plus sans archiver. À l’heure des réseaux sociaux, la fête a changé de statut : elle n’est plus seulement vécue, elle est montrée, rejouée, partagée, exposée. Ce déplacement transforme l’expérience festive en acte de communication, où l’intensité du moment se conjugue à sa valeur de représentation. Fêter ensemble, est-ce encore partager un instant réel, ou orchestrer un spectacle de soi devant un public invisible ?

Le besoin d’être vu dans l’instant

Il ne suffit plus de vivre la fête : il faut pouvoir la prouver. Une photo, une vidéo, une story suffisent à valider une présence, une joie, un lien. La fête devient ainsi un langage visuel, un code social où l’on affirme sa place, ses appartenances, son capital relationnel. On danse autant pour soi que pour les autres. L’instant festif est encadré par le regard des absents, des suiveurs, des inconnus. C’est une joie captée, calibrée, parfois anticipée. Le partage devient injonction silencieuse : si ce n’est pas publié, cela a-t-il eu lieu ?

L’intimité rendue spectaculaire

Les fêtes d’autrefois reposaient sur un certain degré d’intimité collective. Aujourd’hui, cette intimité est exposée, commentée, éditée. On performe le relâchement, le naturel, la complicité. Mais ce naturel est souvent mis en scène. Le rire devient pose, le désordre est organisé, l’ivresse devient photogénique. Cette exposition produit un double effet : elle valorise socialement les individus, mais elle rend la fête moins perméable à l’imprévu. Ce qui n’est pas montrable disparaît. L’expérience se resserre autour de ce qui peut être vu, et validé.

Un narcissisme partagé, mais ritualisé

Il serait facile de condamner cette visibilité comme pur narcissisme. Mais ce narcissisme est aussi un rituel social : on se montre pour être reconnu, pour faire lien. La fête devient un miroir collectif, où chacun s’inscrit dans une communauté d’images. Ce n’est pas un repli sur soi, mais une tentative d’être ensemble par l’image. Le risque, bien sûr, est que cette communauté devienne superficielle, sans affect profond. Mais le besoin d’être vu, d’être reconnu, d’appartenir, reste au cœur du geste festif.

Vers une réappropriation plus sincère ?

Malgré la pression des écrans, il existe encore des fêtes où l’on oublie de filmer, où l’on rit sans filtre, où l’instant prime sur l’image. Ces moments de déconnexion sont précieux parce qu’ils réactivent la fonction première de la fête : être là, ensemble, sans surplomb. Il ne s’agit pas de fuir la modernité, mais de retrouver une présence réelle à soi et aux autres. La fête ne disparaît pas : elle se transforme. Et au milieu des mises en scène, il reste toujours des interstices de sincérité, où le corps, le regard, le silence reprennent le pouvoir.

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