Existe-t'il un syndrome du petit dernier ?
Rangs de naissance et influences, que peut-on en dire ?
Une réflexion trop rapide pourrait considérer le questionnement sur la place des enfants dans la fratrie comme une interrogation moderne, signe révélateur d’une forme de psychologisation de la société. Et l’on aurait tort car depuis que la famille existe, les naissances sont irrémédiablement associées à des enjeux autour de la descendance, du passage entre générations ou de la survie du « nom » à travers le temps. Ainsi, quelle que soit l’époque considérée, les naissances sont toujours le fruit de projections, d’espoirs voire même de nécessité(s)…
Les positions communément admises
Pour celles et ceux qui s’interrogent sur l’influence des rangs de naissance, les publications sont pléthores : remaniement du système familial à l’arrivée d’un nouvel enfant, enfant-roi pour le premier, phénomène du vilain petit canard, avantages et inconvénients de chaque dynamique, etc. On trouve même des études statistiques analysant les corrélations entre les rangs familiaux et le métier occupé à l’âge adulte. Certaines études amènent même à démontrer que des liens existent entre place dans la fratrie et activisme politique…*
D’une façon globale, il semble qu’un consensus se dégage sur chaque rang. L’aîné est le premier des enfants du couple mais aussi l’unique jusqu’à une éventuelle autre naissance. Durant toute cette période de solitude infantile, il est donc le plus souvent choyé. Il est aussi le seul réceptacle aux projections parentales. Lorsqu’un frère ou une soeur arrive dans la famille, il est bien souvent en charge de montrer l’exemple, de prendre des responsabilités et se voit sommé de se comporter comme « un grand ».
L’enfant du « milieu » n’est ni le premier, ni le dernier. Il n’a donc pas de place unique contrairement à l’ainé et au benjamin qui bénéficieront toujours de leur position « d’arrivée » respective… La leur varie en fonction des autres naissances. L’enfant « du milieu » serait donc en peine de trouver sa place : parfois catalogué « petit » dès lors qu’il est l’heure d’aller se coucher (avec le cadet qui y rechigne), il peut aussi facilement basculer du côté « des grands » lorsqu’il s’agit de mettre la table ou encore de montrer l’exemple au petit dernier tandis que l’ainé, rebelle, refuse d’obéir. Equation pas toujours simple à vivre et à intégrer !
Quant au cadet, souvent considéré comme « le chouchou » du point de vue des ainés, il serait particulièrement choyé et bénéficierait des batailles d’autonomie et de liberté gagnées par ses frères et sœurs avant lui. D’un autre côté, il est aussi celui qui dispose de modèles à suivre ou à ne pas suivre, mais quoiqu’il en soit, il sera comparé de façon bienveillante ou non, aux expériences vécues par ses prédécesseurs. Lorsque ceux-ci ont déçu certaines attentes parentales, il peut devoir porter à lui seul les (derniers) espoirs de la famille… Un poids qui peut s’avérer bien lourd…
Un point de vue historique
Nous l’avons évoqué dans les premières lignes de cet article, il existe des études qui ont analysé si profondément l’influence des rangs de naissance sur les parcours de vie que des chercheurs affirment aujourd’hui que les aînés, forts d’une place stable dans l’enfance, auront davantage tendance à choisir des métiers à risque contrairement aux cadets qui opteront pour des métiers de compromis (tant ils ont été habitués à s’adapter du fait de leur position transverse dans la dynamique familiale). Les benjamins, eux, peuvent devenir anxieux et angoissés du fait d’une surprotection, ou à l’inverse très autonomes, désireux de sortir de leur position infantilisante.
Si la place dans la fratrie joue nécessairement un rôle dans la construction identitaire, comme tout élément significatif du parcours d’un individu, on peut craindre des prises de position qui visent à généraliser des liens entre rang, personnalité et/ou avenir professionnel. Dire que les premiers ont des influences sur les seconds ne tient pas lieu de preuve d’un lien de cause à effet, quand bien même des récurrences ont été relevées.
D’un autre côté, l’histoire nous apprend que le questionnement entre avenir et rang de naissance n’a rien d’une interrogation non pertinente. Défendre cette opinion reviendrait à ignorer tout un pan de notre histoire : n’était-ce pas le premier né qui, durant des siècles, et encore aujourd’hui dans les familles royales, se devait d’assurer la pérennité du pouvoir en donnant une descendance au roi ? N’était-ce pas aux filles de participer elles-aussi, à l’équilibre du peuple, en permettant des alliances familiales évitant la guerre et assurant des richesses ? Nous pouvons également évoquer « le droit d’ainesse » qui a induit durant des siècles, une transmission prioritaire des ressources à l’ainé dans la majeure partie des familles françaises. Encore de nos jours, n’existent-ils pas des foyers, dans les pays étrangers, dans lesquels la naissance d’un fils assure ce rôle de soutien à ses autres membres? Et en France, est-on sûr qu’il n’existe plus de corps professionnels pour lesquels on espère un fils ou une fille pour reprendre l’entreprise familiale ?
Place des enfants : position des parents
Nous le voyons au travers de cet article, il existe de nombreux travaux entourant la question des rangs de naissance et de leurs répercussions. Certaines de ces études relèvent de la psychologie mais un point de vue historique et sociologique est également riche d’enseignements, permettant notamment d’éviter les analyses psychologiques parfois un peu trop simplistes.
En revanche, s’il est un élément commun à ces différentes approches, c’est celui entourant le positionnement des parents : qu’il s’agisse d’attentes culturelles conscientes et verbalisées ou de projections inconscientes, toutes ont un lien avec les conduites parentales associées aux rangs de naissance de leurs enfants. Aussi, de notre point de vue, l’interrogation autour du syndrome du petit dernier ne doit pas se poser en termes d’existence ou non mais davantage en termes d’interrogation autour des désirs parentaux. Un couple qui est conscient de ses propres enjeux face à chacune de leur naissance, sera en mesure d’en reconnaître (en partie) les effets et donc, de les limiter ou de les modifier s’ils les estiment inadaptés.