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L'accélération de la télévision
En deux décennies, la durée des plans proposés par la télévision est passée de 6 secondes en moyenne à 3 secondes, transmettant ainsi deux fois plus d’images aux téléspectateurs.
Influence de la vitesse sur le cerveau
L’accélération des temps de séquence des images peut apparaître contradictoire avec la volonté de transmission d’une information, qu’il s’agisse d’un message culturel ou publicitaire. La logique nous pousse en effet à considérer que moins nous disposons de temps et moins nous parvenons à mémoriser des données.
Et pourtant, tel n’est pas le cas. Des expériences menées dans le champ de la psychologie cognitive et des neurosciences ont en effet démontré que notre croyance envers une information augmentait avec la rapidité de lecture. Selon Sébastien Bohler, docteur en neurobiologie, « Pour pouvoir assimiler rapidement une information dense, le cerveau a besoin de la croire vraie » (1).
Ainsi, plus les plans séquences s’accélèrent, plus nous sommes crédules ! Voici donc la raison pour laquelle les publicités se composent d’images saccadées et hyper rythmées. Il s’agit de nous convaincre de la véracité des informations et images transmises.
Production d’images, nouveauté et jugements
Le premier élément de réflexion concerne le maintien, dans la durée, de la manipulation mentale présentée ci-dessus. En effet, pour que le cerveau soit contraint de considérer les informations comme véridiques, elles doivent se renouveler suffisamment pour être jugées nouvelles. Sans ce changement, le cerveau fera appel à sa mémoire, comparera les informations ou sera en mesure de réfléchir au message transmis. En plus d’être suffisamment rapides, les images doivent donc régulièrement être modifiées.
A l’augmentation de la vitesse des séquences s’ajoute désormais une prolifération des informations relatives aux mêmes sujets. Une actualité n’est pas abordée une fois mais plusieurs, les mêmes messages sont rediffusés et une multitude de plan-images viennent désormais illustrer les propos.
Là encore, ce phénomène ne doit rien au hasard. Il s’explique par le phénomène que les psychologues ont nommé ‘l’heuristique de disponibilité’ : plus nous sommes en mesure de mobiliser de données vis-à-vis d’un sujet, plus nous avons tendance à considérer l’information comme fiable. Ainsi, si les journaux télévisés multiplient les scènes de violences urbaines dans les banlieues, nous aurons tendance à croire qu’il y a davantage d’agressions dans ces quartiers, même si des données statistiques venaient à nous démontrer le contraire.
Saccades des séquences et perte de sens
En matière de journalisme, très peu de reportages utilisent la technique du plan-séquence, c'est-à-dire d’un plan tourné en une seule prise et sans aucun montage ni effet. En effet, des successions d’entretiens et d’images sont filmées et sont ensuite redécoupées et montées selon un enchaînement différent.
En dehors des risques de manipulation de l’information, ces méthodes conduisent à une coupure de la parole. Le message n’est plus transmis dans son ensemble, mais par morceaux, perdant ainsi la logique de la pensée de l’auteur.
L’élaboration de la réflexion devient ainsi impossible puisque le processus de raisonnement ne peut se faire : "A la télévision, couper l'image est un moyen très efficace de couper la parole, voire de détruire la pensée ou de noyer le poisson... Ce saucissonnage des plans rend difficile la production d'une pensée qui ait un peu de continuité. Chaque intervention ne dure pas plus d'une ou deux minutes et se voit elle-même découpée en tranches de cinq secondes"(2).
(1) S. Bohler, 150 petites expériences en psychologie des médias, Ed Dunot, 2008
(2) Propos de Christophe Girard, adjoint au maire de Paris et chargé de la culture dans le Débat du journal Le Monde du 24 août 2008