Expliquer son métier : une clé pour exister socialement

À première vue, expliquer son métier semble anodin. Il s’agirait simplement de décrire ce que l’on fait, comment, et pourquoi. Pourtant, ce geste apparemment fonctionnel engage bien plus que de l’information. Dire son métier, c’est se raconter à travers ce que l’on fait, c’est tenter de relier un rôle social à une histoire intérieure, et de transformer une fonction en identité signifiante.
Mettre en mots ce que l’on incarne
Le travail n’est pas uniquement une activité. Il façonne la posture, le regard, le rapport au temps et au corps. Pourtant, ce vécu reste souvent muet, enfermé dans les gestes quotidiens ou dans un jargon technique. Expliquer son métier, c’est rompre le silence sur une expérience incarnée, c’est redonner du sens à des gestes parfois devenus mécaniques. Dans cette mise en récit, la personne ne se contente pas de décrire une tâche : elle inscrit ce qu’elle fait dans une logique, un choix, un lien. Ce récit devient une forme d’affirmation de soi dans le monde.
Une reconnaissance par la parole
Expliquer son métier, surtout lorsqu’il est peu valorisé, c’est aussi revendiquer une visibilité que le statut social ne garantit pas. Certains métiers sont considérés comme allant de soi, évidents, presque naturels. Leur invisibilisation conduit ceux qui les exercent à ne plus se sentir légitimes à en parler. Se réapproprier cette parole, c’est revendiquer une compétence, une expérience, une contribution au monde commun. C’est aussi, parfois, résister à une assignation réduite à une étiquette administrative ou à une image figée.
La transmission comme miroir de soi
Mettre son métier en mots à destination d’un autre, c’est aussi le redécouvrir à travers ce regard extérieur. Que ce soit dans le cadre d’une formation, d’une reconversion, d’une discussion familiale ou d’un simple échange, le fait de raconter ce que l’on fait oblige à le penser autrement. L’interlocuteur devient un témoin symbolique, celui qui permet de consolider l’identité professionnelle. Cette transmission est donc moins un transfert de savoir qu’un acte de reconnaissance : elle permet d’exister dans son rôle autrement que par la simple exécution.
Quand on ne peut plus dire ce qu’on fait
À l’inverse, lorsque le métier devient indicible, flou, trop fragmenté ou déconnecté de tout sens personnel, le lien identitaire se défait. Ne plus savoir expliquer ce que l’on fait, ou ne plus y croire, c’est souvent le signe d’un éloignement profond d’avec soi-même. Le silence sur le travail est alors le symptôme d’un désajustement, parfois d’une souffrance. La capacité à dire ce que l’on fait, à en faire récit, n’est pas un luxe. Elle est un point d’appui vital pour rester habité dans sa fonction, et pour que le métier reste un lieu d’existence plutôt qu’un simple instrument de survie.