Psychologie

Certains fonctionnaires s’investissent dans leur mission avec un sérieux profond, presque sacrificiel. Leur engagement dépasse le cadre professionnel : il s’apparente à une vocation. Ils ne cherchent pas seulement à accomplir des tâches, mais à « faire le bien », à « servir » avec dignité. Cette posture, admirable en apparence, peut parfois masquer une dynamique plus inconsciente. Travailler pour l’intérêt général devient alors un moyen d’apaiser une faille narcissique ancienne, une manière de se rendre aimable, visible, ou réparé aux yeux d’un autre, souvent intériorisé. Le service public ne comble pas ce vide, mais il en devient le théâtre discret.

Quand le collectif panse un manque intime

La mission de service public peut offrir un récit porteur : on n’agit pas pour soi, mais pour les autres. On n’est pas dans la compétition, mais dans la continuité. Ce cadre valorisant devient, pour certains, un moyen de s’inscrire dans une image idéalisée de soi, qui contrebalance un sentiment d’insuffisance ou de non-valeur. Il ne s’agit pas de tricher ni de surjouer, mais d’habiter un rôle qui donne une légitimité là où l’histoire personnelle a pu en priver. L’État devient alors non plus seulement une institution, mais un tiers contenant, garant symbolique d’une valeur qu’on ne parvient pas à se donner seul.

Un exemple : Nicolas et la quête d’utilité

Nicolas, 44 ans, travaille dans la fonction publique d’État depuis vingt ans. Il a gravi les échelons avec constance et sérieux. Très engagé, il parle souvent de « service », de « devoir », et de « sens collectif ». Mais dès qu’il rencontre une remise en question ou une critique, il vacille fortement, comme si sa légitimité entière était menacée. En thérapie, il évoque une enfance où il ne s’est jamais senti suffisamment vu par ses parents, malgré de bons résultats. Son attachement au service public devient une tentative de réparation : être utile à la société comme il aurait voulu l’être pour ceux qui ne l’ont pas assez regardé. Il agit avec sincérité, mais son engagement reste fragilisé par cette blessure de fond.

Quand la réparation devient dépendance

Chercher à réparer une blessure narcissique par le travail n’est pas en soi problématique. Mais lorsque cette dynamique devient exclusive, elle enferme dans une posture d’obligation morale : il faut se dévouer, il faut être irréprochable, il ne faut pas décevoir. Le sujet ne travaille plus seulement, il tente de prouver qu’il mérite d’exister. Ce surinvestissement, valorisé par certains environnements institutionnels, devient alors une dépendance silencieuse. Tout relâchement, toute imperfection ravive la faille. Le travail ne guérit pas, il anesthésie. Et l’identité reste suspendue à une mission qui n’a jamais été conçue pour réparer des blessures intimes.

Vers une mission habitée sans s’y confondre

Trouver une place apaisée dans la fonction publique suppose de distinguer ce que la mission apporte vraiment de ce qu’elle compense silencieusement. Il est possible d’agir avec engagement, sans que cela répare tout. Il est même souhaitable de reconnaître que le sens ne suffit pas à guérir les manques d’amour. Cette lucidité ne diminue en rien la valeur du travail, au contraire : elle permet de l’habiter sans s’y dissoudre. Le service public ne peut pas combler une faille narcissique, mais il peut devenir un espace où l’on agit avec justesse, parce qu’on a cessé d’attendre qu’il prouve quelque chose à notre place.

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