Au travail, le calme apparent masque parfois une tension latente

Certaines équipes fonctionnent dans un calme exemplaire. Les réunions sont ordonnées, les échanges mesurés, les conflits rares. À première vue, l’ambiance semble saine, apaisée, fonctionnelle. Mais au fil du temps, ce calme devient pesant, chargé d’une forme de tension qui ne dit pas son nom. Une parole un peu vive, une remarque trop directe ou une émotion exprimée semblent immédiatement déplacées. L’atmosphère donne le sentiment d’être feutrée, mais aussi figée. Ce n’est plus la sérénité qui règne, mais une sorte de mise sous cloche émotionnelle.
Un accord implicite pour ne pas déranger l’équilibre
Dans ce type d’environnement, chacun apprend à se contenir. Les affects sont soigneusement régulés, les critiques passées sous silence, les désaccords enveloppés de formules neutres. Il ne s’agit pas d’hypocrisie, mais d’un pacte non dit : préserver l’équilibre collectif en évitant toute perturbation. Le problème n’est pas tant l’absence de conflits que l’impossibilité d’exprimer ce qui dérange, ce qui vibre, ce qui dépasse le cadre. Le groupe devient alors un lieu d’autorégulation permanente, où la moindre variation de ton est perçue comme une rupture du contrat.
Exemple : Marion, l’impression d’être de trop
Marion, 35 ans, vient d’intégrer une équipe administrative réputée “très calme”. Dès les premières semaines, elle ressent une tension. Tout semble poli, maîtrisé, mais elle perçoit des crispations. Lors d’une réunion, elle propose une idée avec enthousiasme. Un silence s’installe, puis la discussion repart sur un autre sujet. Elle se sent immédiatement coupable, trop expressive, trop présente. En thérapie, elle évoque une enfance marquée par une ambiance familiale “sans vagues”, où l’excès était interdit. Ce climat professionnel feutré réactive chez elle une peur ancienne : celle de déranger en existant trop.
Une ambiance apaisée qui empêche de respirer
Le climat lisse peut devenir asphyxiant. La parole n’y circule plus librement, mais selon des règles implicites de neutralité et de maîtrise. Ce qui devrait être un espace d’échange devient un lieu de contrôle. L’émotion, la spontanéité ou même le simple désaccord doivent être contenus, déguisés ou différés. Dans cette atmosphère, les tensions ne disparaissent pas : elles s’infiltrent dans les regards, les absences, les micro-signes. Et celles et ceux qui ne parviennent pas à s’y conformer peuvent être perçus comme instables, excessifs ou inadaptés, alors qu’ils sont simplement vivants.
Retrouver un droit à l’intensité
Briser cette dynamique suppose de redonner à la parole une place moins régulée. Il ne s’agit pas d’instaurer le chaos, mais de reconnaître que le calme peut parfois cacher un évitement. Créer un espace où l’on peut dire sans peur, contester sans rompre, proposer sans être mis à distance, permet de faire exister un collectif vivant. Ce travail est souvent discret, progressif : autoriser une émotion, accueillir un désaccord, ne pas faire taire ce qui dépasse. Car une équipe mature ne se reconnaît pas à son silence, mais à sa capacité à contenir les paroles sans les éteindre.