Psychologie

L’ère du streaming nous promet un accès sans limites à des milliers de contenus, accessibles à tout moment, depuis n’importe quel écran. En apparence, cette abondance devrait satisfaire tous les goûts, toutes les curiosités, toutes les humeurs. Mais cette liberté totale génère souvent une étrange paralysie : plus il y a à voir, moins on sait quoi choisir. L’illusion du choix infini ne produit pas plus de plaisir, mais plus d’hésitation, de survol, d’insatisfaction. Derrière la promesse d’une offre illimitée se cache une tension silencieuse entre désir, décision et attention.

La fatigue du choix permanent

Face à un catalogue sans fin, chaque visionnage devient une décision. Ce processus, répété quotidiennement, épuise plus qu’il ne libère. Là où l’ancien modèle télévisuel imposait un programme à suivre ou à refuser, les plateformes exigent une participation constante. Que veut-on voir ce soir ? Une série ? Un documentaire ? Une nouveauté ou un classique ? Un utilisateur de Netflix raconte passer parfois plus de 40 minutes à chercher sans jamais lancer quoi que ce soit. Ce phénomène, banal mais révélateur, montre que l’accumulation des possibles crée une forme d’angoisse discrète : celle de faire le « mauvais » choix, de manquer une meilleure option. Le plaisir de regarder est précédé d’un stress diffus.

La construction d’un goût sous influence

Le choix n’est jamais neutre, surtout quand il est assisté. Ce que l’on croit vouloir est souvent le produit d’une sélection algorithmique, d’une exposition répétée, d’un cadrage subtil. Les plateformes recommandent, classent, poussent des contenus au sommet des pages, créant un effet de visibilité qui oriente fortement les décisions. Un film vu par hasard n’est jamais tout à fait un hasard. Ce processus finit par uniformiser les parcours, par concentrer les vues sur une poignée de titres, malgré l’abondance proclamée. Le choix personnel devient une illusion de libre arbitre dans une structure orientée. Ce n’est pas une manipulation, mais une fabrication douce du désir.

Le besoin d’un manque pour désirer vraiment

Quand tout est à portée, le désir perd son appui. Il ne peut plus naître d’une attente, d’une rareté, d’une surprise. L’excitation d’un film diffusé une fois par an, l’envie de découvrir une série après un bouche-à-oreille lent, la satisfaction de tomber sur un programme par hasard : ces expériences deviennent rares. La disponibilité permanente tue une part du lien affectif au contenu. Un spectateur confie ne plus rien revoir, car tout est toujours là, prêt à être relancé — donc jamais vraiment désiré. Le manque, paradoxalement, donnait de la valeur. L’abondance l’écrase.

Réapprendre à vouloir lentement

Le vrai luxe n’est peut-être pas d’avoir tout sous la main, mais de retrouver une relation plus lente, plus choisie, plus personnelle aux œuvres. Cela suppose de ne pas céder à l’appel de l’instant, de se souvenir de ses goûts profonds, de construire son propre chemin dans l’excès. Face à la profusion, il faut parfois réduire pour mieux voir. Choisir devient alors un acte intérieur, et non une réponse à une sollicitation. Ce n’est pas le nombre de titres disponibles qui compte, mais ce que nous voulons vraiment voir. Et cela, les plateformes ne peuvent pas encore nous le dire.

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