Jouer au président : les mécanismes de surjeu et d’identification

Dans les régimes fortement présidentialisés, la fonction ne se contente pas d’être exercée : elle doit être incarnée, mise en scène, rendue visible et crédible à chaque instant. Le président n’est pas seulement un acteur politique : il est aussi un acteur tout court. Sa posture, ses silences, ses gestes et son apparence composent un rôle, parfois surjoué, souvent répétitif, destiné à maintenir une illusion de maîtrise. Car derrière ce théâtre du pouvoir se loge une tension sourde : celle de l’échec toujours possible.
L’homme-fonction et la construction du personnage
Dès l’élection, le président devient une figure. Son corps, sa voix, son visage ne lui appartiennent plus tout à fait : ils sont chargés d’une attente collective. C’est le passage de l’homme à l’homme-fonction. Chaque apparition publique est calibrée pour réaffirmer ce statut. On retrouve les mêmes poses : la marche lente sur fond de drapeau, le regard grave face caméra, les mains jointes ou ouvertes, les silences lourds de signification. Ces gestes codifiés construisent une identité présidentielle, mais ils participent aussi à figer le pouvoir dans une esthétique presque rituelle.
Le surjeu comme défense inconsciente
Dans certaines séquences de tension ou de doute, la posture présidentielle se rigidifie. Le surjeu apparaît comme un mécanisme de défense face à l’angoisse de vaciller. Parler plus fort, multiplier les signes d’autorité, théâtraliser la détermination : ces excès de mise en scène ne relèvent pas toujours de la communication calculée, mais d’un besoin inconscient de reconquérir une autorité symbolique ébranlée. Le président surjoue pour ne pas flancher, comme un acteur qui répète son texte avec plus d’intensité à mesure qu’il sent sa crédibilité menacée.
L’identification fragile du spectateur
Ce jeu de rôle produit des effets ambivalents chez les citoyens. Il crée une identification temporaire – admiration, respect, espoir – mais il peut aussi produire du rejet si la théâtralité devient trop visible. Plus la posture semble travaillée, plus elle peut apparaître artificielle, creuse, voire cynique. La magie du pouvoir repose sur un équilibre fragile entre sincérité perçue et performance maîtrisée. Si l’acteur-président échoue à maintenir cette tension, la confiance peut se rompre brutalement, révélant le vide sous la mise en scène.
Vers une autorité désacralisée ?
Pour sortir de cette logique de surjeu, il faudrait penser une autorité politique moins dépendante de la posture et plus ancrée dans la parole partagée, la relation et l’écoute. Ce n’est pas tant le rôle présidentiel qu’il faut abolir que le jeu de façade qui le fige. Accepter la vulnérabilité, reconnaître le doute, déléguer sans perdre sa place : autant de gestes possibles qui pourraient redonner de la densité au pouvoir sans le travestir. Mais cela suppose de renoncer au fantasme de l’homme providentiel infaillible — et de regarder enfin le président comme un homme politique, non comme une figure sacrée.