Psychologie

Dans le domaine de la santé mentale, les outils d’évaluation sont nombreux : questionnaires standardisés, grilles de symptômes, échelles de douleur psychique. Ces dispositifs sont censés aider à objectiver le ressenti subjectif, à en faciliter la lecture clinique. Mais cette volonté de rendre mesurable ce qui relève de l’intime soulève de nombreuses questions. Car la souffrance psychique ne se laisse pas toujours attraper par des indicateurs. Elle est floue, changeante, parfois muette, parfois trop bruyante pour se réduire à des cases. Et à vouloir tout évaluer, on risque parfois de passer à côté de ce qui, précisément, échappe.

La logique rassurante de la mesure

Les grilles d’évaluation ont une fonction de repérage et de standardisation. Elles permettent une homogénéisation des diagnostics, un accès plus rapide aux soins, un langage commun entre professionnels. Mais elles sont aussi une réponse à l’angoisse de ne pas savoir, de ne pas comprendre, de ne pas maîtriser ce que vit l’autre. Derrière l’objectivation, il y a souvent une peur implicite de la complexité psychique. En ramenant l’intime à des données, on le rend plus contrôlable — mais aussi, parfois, plus lointain. La parole vivante se transforme en score, en seuil, en catégorie.

Exemple : un malaise invisible au sein du protocole

Sophie, 34 ans, entre en hospitalisation de jour pour un épisode anxieux sévère. À l’admission, elle remplit une grille standardisée. Elle note « 2 » à la question sur l’envie de mourir, mais ne parvient pas à exprimer ce qui se cache derrière ce chiffre. En entretien, elle dit qu’elle ne voulait pas « faire peur » mais qu’en réalité, elle pense souvent à s’effacer. Le chiffre, dans ce cas, a masqué la violence du ressenti. Ce n’est qu’en séance, à travers un silence prolongé, un regard, un détour, que le contenu réel a pu émerger. La grille a rassuré l’institution — mais pas entendu Sophie.

Ce que les outils ne peuvent saisir

La souffrance psychique ne se loge pas uniquement dans les réponses, mais dans les hésitations, les contradictions, les trous, les fuites. Elle traverse des registres multiples, corporels, affectifs, langagiers, qui ne coïncident pas toujours avec ce qui est attendu par le cadre d’évaluation. Un sujet peut aller très mal en apparence, tout en contenant sa douleur de façon fonctionnelle ; un autre peut s’effondrer dans un test sans vivre de désorganisation majeure. La clinique vivante repose sur l’écoute de ces écarts, de ces dissonances, de ces énigmes — là où les outils standardisés risquent de lisser.

Retrouver une éthique de l’écoute

Les grilles ne sont pas à rejeter, mais à replacer dans un cadre plus large, où l’intime peut être approché sans être réduit, où l’on accepte de ne pas tout comprendre immédiatement. L’important n’est pas d’éliminer l’objectivation, mais de ne pas s’y enfermer. Sophie, en trouvant un espace où sa parole pouvait se déployer hors du protocole, a commencé à sentir sa souffrance autrement — moins comme un chiffre qu’elle devait gérer, plus comme une expérience qu’elle pouvait dire. C’est dans ce décentrement que l’éthique clinique retrouve sa place.

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