Psychologie

Longtemps considéré comme relevant de la sphère privée, l’intime est aujourd’hui omniprésent dans l’espace médiatique. On le retrouve dans les témoignages en plateau, dans les vlogs personnels, dans les récits d’auto-exposition sur les réseaux sociaux comme dans les émissions de télévision. Cette mise en scène du vécu personnel peut être libératrice, mais elle soulève aussi une ambiguïté : est-elle toujours choisie, ou devient-elle peu à peu une norme implicite ? Dans un monde où l’authenticité est valorisée comme gage de sincérité, l’exposition de soi semble parfois moins un choix qu’une attente.

Dire son histoire pour exister médiatiquement

Dans de nombreuses émissions, le témoignage personnel est devenu une porte d’entrée incontournable. Partager une épreuve, une blessure ou une singularité confère une légitimité émotionnelle immédiate. Qu’il s’agisse d’un parcours de résilience, d’un coming out, d’un drame familial ou d’un combat de santé, la narration de l’intime occupe une place centrale dans les formats narratifs contemporains. À la radio, dans certaines émissions de société, les invité(e)s sont souvent sélectionnés en fonction de leur capacité à « se livrer ». Cette parole peut avoir une puissance réelle, mais elle n’est pas neutre : elle s’inscrit dans un cadre, avec des règles implicites — émotion, sincérité apparente, narration linéaire — qui orientent la manière dont le vécu doit être raconté.

L’authenticité comme performance

La valorisation de l’authenticité n’est pas sans effets secondaires. Elle peut créer une pression diffuse à livrer une version « crue », « brute » de soi, quitte à forcer l’émotion ou à simplifier un vécu. Sur YouTube ou dans les podcasts, certains créateurs de contenu témoignent d’un dilemme : à force de succès autour de leurs confidences, ils se sentent tenus d’en dire toujours plus, plus fort, plus vrai. Ce phénomène peut produire un épuisement identitaire : comment continuer à se raconter sans se caricaturer ? Le public, en quête d’identification, participe aussi de cette attente implicite. Ce n’est plus seulement le propos qui compte, mais le sentiment d’avoir accès à « la vraie personne ». Or cette authenticité devient, paradoxalement, un rôle à jouer.

Les risques d’une parole fragilisée

Lorsque l’intime devient une monnaie médiatique, il change de statut. Il cesse d’être une parole fragile que l’on déplie à son rythme, pour devenir un matériau exploitable, calibré, parfois instrumentalisé. Dans certaines émissions télévisées de témoignages, le montage accentue les larmes, condense les temps de silence, suggère un sens au récit qui n’était pas nécessairement là. Pour celui ou celle qui se confie, l’expérience peut être ambivalente : soulagement d’avoir parlé, mais aussi perte de contrôle sur ce qui a été dit. Ce basculement interroge le contrat implicite entre les médias et les individus : offrir une écoute en échange d’une exposition, mais à quelles conditions ? Et avec quelle responsabilité éditoriale sur le long terme ?

Retrouver une éthique de la parole intime

L’exposition de l’intime peut produire du lien, de la compréhension, de la nuance. Mais elle ne peut remplir cette fonction que si elle respecte la temporalité de celui qui parle, sans instrumentalisation. Il ne s’agit pas de refermer la parole sur elle-même, ni de condamner toute mise en récit du personnel. Il s’agit de garantir un espace où l’intime ne soit pas une obligation implicite pour être entendu. Car toute parole fragile a besoin d’un cadre solide. Et dans un paysage médiatique où l’on s’expose vite, fort, parfois trop tôt, c’est ce cadre qu’il faut repenser.

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