Pourquoi certain(e)s deviennent “grands frères” ou “grandes sœurs” ?

Certaines figures sociales se détachent dans les groupes amicaux ou professionnels. Ce sont les personnes vers qui on se tourne naturellement, celles qui écoutent, qui conseillent, qui rassurent, comme un repère affectif stable, toujours prêt à soutenir. Mais derrière cette fonction valorisante peut se cacher une construction plus ancienne, liée à un besoin profond d’exister à travers le soin apporté aux autres.
L’enfant réparateur devenu adulte pilier
Derrière le “grand frère” ou la “grande sœur” de tout le monde se cache souvent un enfant qui a dû, trop tôt, prendre soin. Il ou elle a appris à lire les besoins des autres avant même de comprendre les siens. Ce sont souvent des enfants issus de contextes instables, où l’attention était captée par un parent en difficulté ou une fratrie chaotique. L’enfant se construit dans la responsabilité, dans la régulation émotionnelle, dans l’aide silencieuse. En grandissant, cette posture devient une identité. Être là pour les autres rassure, donne une place, confère une légitimité. Mais elle peut aussi devenir une camisole : on est toujours celui ou celle qui aide, mais jamais vraiment celui ou celle qu’on vient chercher, consoler, rejoindre dans sa propre vulnérabilité.
Exister à travers l’autre plutôt qu’en soi
Ce besoin d’être utile à tout prix n’est pas pure générosité. Il répond souvent à une angoisse plus sourde : celle de ne pas compter s’il n’y a pas d’utilité. Aider, apaiser, conseiller deviennent alors des stratégies de survie identitaire. La relation est construite sur une asymétrie subtile, dans laquelle le sujet s’installe inconsciemment en position de force douce. Cela évite l’exposition, la réciprocité, le risque de décevoir. Mais cela génère aussi de la fatigue, de la frustration, voire un ressentiment sourd. Car en se rendant toujours disponible, on rend difficile l’accès à sa propre complexité. On est là pour tous, mais on ne sait plus comment être là pour soi.
Exemple : Sarah, confidente de tous, oubliée d’elle-même
Sarah, 33 ans, est celle que tout le monde appelle en cas de problème. Elle connaît les secrets de chacun, donne des conseils justes, apaise les tensions. Mais elle dit ne pas savoir à qui parler quand elle va mal, comme si elle n’avait pas le droit de défaillir. En thérapie, elle explore une enfance passée auprès d’un père dépressif et d’une mère surchargée, où elle a pris très jeune le rôle de médiatrice. Elle a appris que sa valeur tenait à sa capacité à gérer, à consoler, à prendre sur elle. Aujourd’hui encore, elle ne se sent aimée que lorsqu’elle aide. Elle commence à interroger cette posture, et à envisager que le lien pourrait aussi exister quand elle n’est pas parfaite, ni utile.
Autoriser l’égalité affective
Sortir de cette position ne signifie pas cesser d’être là pour les autres. Mais retrouver un lien plus équilibré suppose d’oser apparaître autrement : moins solide, plus nuancé, plus vrai. Cela demande de tolérer l’idée d’être aimé sans devoir mériter sa place par le service ou la constance. Accepter que l’on puisse être accueilli·e dans sa fragilité, sans que cela remette en question la relation. Et c’est dans ce déplacement, souvent discret mais profond, que s’ouvre une nouvelle façon d’être en lien : moins fonctionnelle, mais plus incarnée.