“C’est un bon choix pour moi” : quand le discours de raison étouffe le désir

Certaines orientations semblent parfaitement calibrées : parcours cohérent, débouchés prometteurs, compatibilité avec les compétences acquises. Tout paraît logique, rassurant. Mais sous ce discours bien ficelé peut se dissimuler une tout autre dynamique : celle d’une protection contre le trouble du désir. En parlant de “choix raisonnable”, de “réalisme” ou d’“adaptation”, on évite parfois de se confronter à la question plus dérangeante de ce que l’on voudrait vraiment. Le bon choix devient alors un choix sécurisant, mais potentiellement désaffectivé.
L’efficacité comme écran contre l’ambivalence
Se dire que l’on a fait le bon choix peut masquer une incapacité à tolérer l’ambivalence. Le désir, par définition, n’est jamais entièrement clair, ni toujours compatible avec l’image que l’on veut renvoyer. Il est parfois déraisonnable, incertain, risqué. En l’écartant au profit de la cohérence, on maintient une forme d’équilibre, mais on perd l’élan. Le “bon choix” devient une solution plus qu’une décision. On ne choisit pas ce qui attire, mais ce qui convient. Ce glissement du désir vers la convenance est souvent invisible, car il se camoufle derrière des arguments solides, approuvés socialement.
L’exemple de Sarah : éviter le désir en s’adaptant
Sarah, 21 ans, étudiante en école d’ingénieur, explique son choix avec clarté : “c’est un secteur porteur, j’aime les maths, et j’aurai de bonnes opportunités”. Tout est justifié, aligné. Mais lorsqu’elle évoque ses études, son visage reste figé. Elle dit “je m’y retrouve”, mais sans affect. En séance, elle finit par parler de sa passion pour la photographie, qu’elle a mise de côté parce que “ce n’est pas un vrai métier”. En réalité, son orientation a été une réponse à une peur : celle de manquer, d’échouer, de décevoir ses parents. Le choix d’ingénierie n’est pas faux, mais il est défensif. Il lui permet de ne pas sentir l’inconfort de vouloir autre chose. Son discours raisonnable la protège du vertige d’un désir qui aurait pu la décentrer.
Le bon choix comme négation du conflit
Plus un choix est argumenté, plus il peut masquer une conflictualité interne non résolue. Le sujet met en avant la raison pour éviter de sentir la division. Il n’est pas question ici d’opposer raison et passion, mais de repérer les moments où le raisonnable devient un refuge contre le vivant. Parfois, il faut un excès de rationalisation pour ne pas entendre ce qui gronde en sourdine : un ennui latent, un regret inavoué, une sensation de n’être pas tout à fait là. Le discours sur la “bonne décision” devient alors un récit défensif, qui tient, mais ne nourrit pas.
Retrouver le fil d’un désir légitime
Réinterroger un choix, même après plusieurs années, ne signifie pas le rejeter. Cela permet de réintroduire une part de désir là où il avait été mis de côté. Le bon choix peut rester le bon, à condition qu’il soit réinvesti. Et si ce n’est pas le cas, une autre option peut émerger, plus ajustée, plus vivante. Ce n’est pas le choix en lui-même qui compte, mais la manière dont il nous engage. Dire “c’est un bon choix” ne suffit pas. Encore faut-il qu’il nous relie à quelque chose de personnel, de sensible, de risqué peut-être, mais de sincère.