Au travail, des non-dits qui structurent la vie d’équipe

Dans toute équipe, il existe des choses qui ne se disent pas mais qui orientent les comportements, les alliances, les silences. Il ne s’agit pas forcément de secrets lourds, mais de zones floues, de tensions non verbalisées, d’accords implicites sur ce qui peut être abordé… ou non. Ces non-dits ne sont pas des oublis : ils participent à l’équilibre du groupe, ils en dessinent les contours, parfois au prix d’une parole empêchée. Ils peuvent masquer des conflits anciens, des désaccords souterrains ou des hiérarchies affectives invisibles.
Ce qui ne se dit pas mais se transmet
Les non-dits ne sont pas l’absence de parole, mais une parole déplacée, évitée, réorganisée. Ils vivent dans les regards, les micro-décalages, les intonations, les absences ou les changements de sujet. Dans une équipe, ils créent une dynamique sous-jacente, une forme d’ordre informel qui dit, sans le dire, qui a de l’importance, ce qui est toléré, ce qui ne doit pas être interrogé. Plus ce système est ancien, plus il devient indiscutable. On sait que certains sujets sont sensibles, mais on ne sait plus pourquoi ; on évite certains noms, certains gestes, sans toujours comprendre leur portée réelle.
Exemple : Adrien, prisonnier d’un rôle muet
Adrien, 41 ans, travaille dans une collectivité territoriale. Il est compétent, discret, apprécié, mais il sent qu’un plafond invisible l’empêche d’évoluer. Il se dit “pas politique”, mais devine que d’autres, à compétences égales, sont mieux valorisés. En séance, il évoque une tension ancienne entre deux cadres de l’équipe, jamais résolue, qui a polarisé les loyautés. Adrien a été “rangé” du côté d’un ancien chef désormais marginalisé. Personne ne l’accuse ouvertement, mais il sent, sans preuve, qu’il est enfermé dans une place qu’il n’a jamais choisie. Le non-dit collectif devient ici une assignation silencieuse.
Des règles informelles qui organisent la vie psychique
Les non-dits ont un pouvoir structurant. Ils figent des places, empêchent certains rapprochements, interdisent certaines questions. Par leur stabilité, ils rassurent : ils permettent de fonctionner sans avoir à réinterroger sans cesse les règles du jeu. Mais ils génèrent aussi une forme de tension latente. Ce qui ne peut pas être formulé revient autrement : dans les retraits, les rumeurs, les critiques détournées. Et parfois dans des exclusions subtiles, difficiles à nommer. Celui qui cherche à clarifier ces zones grises peut être perçu comme une menace, simplement parce qu’il tente de redonner une forme à ce qui s’est cristallisé.
Faire place à une parole contenante
Il ne s’agit pas de tout dire, ni de forcer les silences. Mais permettre que certaines choses puissent être formulées autrement, à leur rythme, dans un cadre sécurisant, peut desserrer la tension collective. Une équipe ne devient pas plus fragile quand elle accueille un peu plus de réel. Elle gagne en mobilité, en conscience de ses dynamiques, en souplesse. Ce travail n’est jamais immédiat, ni spectaculaire. Mais il autorise chacun à ne pas être défini par des logiques anciennes, à reprendre une liberté de positionnement, et à faire exister une parole vivante au sein du groupe.