Aider l’autre dans le jeu : générosité ou besoin d’exister ?

Dans les jeux vidéo coopératifs, certains joueurs prennent spontanément le rôle de soutien, de guide ou de protecteur. Ils aident, conseillent, sauvent, parfois sans même qu’on leur demande. Ce geste, souvent valorisé, peut s’enraciner dans un élan sincère de solidarité. Mais il peut aussi dissimuler une autre logique plus silencieuse : celle d’un besoin inconscient d’exister à travers l’autre, de gagner sa place en étant utile. Le jeu devient alors le théâtre discret d’une quête de valeur personnelle.
Se rendre indispensable pour être reconnu
Dans les équipes de jeu, le rôle d’aidant est souvent central. Celui qui soutient les autres devient nécessaire, visible, respecté. Mais pour certains, cette position n’est pas une préférence stratégique, c’est une nécessité psychique. Aider devient la condition même de leur appartenance. En dehors de cette utilité, ils craignent de ne pas être légitimes. Cette générosité apparente peut alors cacher un besoin plus profond : être aimé ou accepté uniquement à condition d’être disponible.
L’aide comme défense contre l’effacement
Être toujours celui qui aide permet aussi de ne pas penser à soi. On se rend utile pour ne pas affronter sa propre vulnérabilité, ses propres besoins. À force de se tourner vers les autres, on s’évite. Le jeu fournit un cadre idéal pour cela : structuré, actif, gratifiant. L’attention portée à l’autre devient un écran. Derrière l’acte d’aide se loge alors une peur : celle d’être invisible, oubliée, ou inutile si l’on cesse de donner.
L’exemple de Sophie, 36 ans
Sophie joue depuis plusieurs années à un jeu de rôle multijoueur. Elle choisit systématiquement des classes de soutien et consacre ses sessions à soigner, protéger, organiser. Elle dit que “ce qui l’intéresse, c’est que les autres réussissent grâce à elle”. Dans sa vie, Sophie s’est souvent tue pour préserver l’harmonie. Elle a appris très tôt à prendre soin, à éviter les conflits, à se faire petite pour rester aimée. Le jeu reproduit cette dynamique : elle se sent valorisée, mais reconnaît qu’elle n’ose jamais exprimer ses limites. L’aide devient sa seule forme d’affirmation.
Être utile sans s’oublier
Aider n’est pas un problème en soi. C’est une capacité précieuse, humaine, structurante. Mais quand cette posture devient la seule manière d’exister, elle enferme. Le joueur ou la joueuse n’a plus de place en dehors de sa fonction. L’enjeu n’est alors pas de renoncer à aider, mais de comprendre ce qui se joue derrière ce réflexe : peur de disparaître, besoin d’amour conditionnel, ou blessure ancienne. Dans le jeu comme dans la vie, être avec les autres ne devrait pas nécessiter de s’effacer pour exister.