L’immersion dans les jeux vidéo comme mise en scène de soi

Ce n’est pas uniquement pour jouer que l’on s’immerge dans un jeu. Dans certains cas, ce n’est même plus pour progresser, réussir ou gagner. C’est pour être dans un monde où quelque chose de soi peut enfin se dire. L’univers vidéoludique devient alors un espace de projection sensible, presque un théâtre psychique où l’on met en scène des états internes, des aspirations inavouées ou des tensions difficiles à exprimer. Le décor, l’avatar, les sons ne sont plus des éléments extérieurs : ils deviennent les supports symboliques d’une expérience de soi.
L’avatar comme porte-voix silencieux
À travers le choix du personnage, des gestes, du rythme ou même du silence, c’est une part intime de soi qui s’exprime sans discours. L’avatar devient parfois le relais d’un désir que la vie réelle n’autorise pas à formuler. Une lenteur assumée, une agressivité contenue, une solitude recherchée… Tous ces éléments ne sont pas anodins. Ils participent à une dramaturgie intérieure. Ce n’est pas seulement un jeu, c’est une composition. Et dans cette composition, chacun installe un soi possible, un soi autorisé, un soi expérimenté.
Le monde comme écho intérieur
L’environnement du jeu joue alors un rôle bien au-delà du décor. Il est le réceptacle d’une présence, la scène sur laquelle quelque chose de nous se déploie. On n’explore pas le monde : on s’y projette. Et ce que l’on vient éprouver, c’est souvent une ambiance psychique plus qu’un récit. Le monde vidéoludique devient un allié muet, un miroir élargi dans lequel le joueur s’éprouve autrement. L’immersion permet alors une mise en contact avec des états internes difficiles à atteindre autrement, parce qu’ils seraient étouffés dans le bruit du quotidien.
L’exemple de Manon, 36 ans
Manon joue à un jeu de science-fiction où elle incarne un personnage presque mutique, dans un monde abandonné, flottant entre ruines et mer. Elle y retourne souvent, sans but. Elle explique que “ce n’est pas l’histoire qui l’intéresse, mais l’état dans lequel elle se met quand elle y est”. Dans sa vie, Manon doit porter une parole constante : gestionnaire, médiatrice, mère, elle est toujours sollicitée. Le jeu devient pour elle une scène de suspension. Elle s’y retrouve silencieuse, fluide, effacée du bruit – mais présente à elle-même. Elle ne fuit pas : elle se met en scène autrement.
Une subjectivité en mouvement
Loin d’être un simple décor, le monde immersif est une matrice où le soi peut s’explorer sans rigidité. Ce que nous y cherchons, souvent inconsciemment, ce n’est pas l’action, mais une possibilité d’être autrement. Être seul dans un monde vide, ou au contraire s’agiter dans un chaos maîtrisé, ce n’est pas qu’un style de jeu : c’est une tentative symbolique de traverser une part de notre subjectivité. Le jeu n’est plus un écran, mais un lieu d’incarnation sensible. Et cette mise en scène silencieuse peut, à certains moments, tenir lieu de vérité.