Peut-on aimer deux personnes à la fois ?

Aimer deux personnes en même temps, ce n’est pas simplement être tiraillé entre deux désirs ; c’est se retrouver au cœur d’un conflit psychique, parfois ancien, où différents pans du moi, du désir et de l’histoire affective s’expriment en parallèle. Ce qui semble relever d’un choix affectif trouble en réalité des strates inconscientes bien plus profondes. C’est ce qui rend cette situation à la fois déroutante, culpabilisante, mais aussi riche de sens.

Deux objets, deux fonctions psychiques

Souvent, les deux personnes aimées ne répondent pas au même besoin inconscient. L’une rassure, incarne un amour stable, parfois maternant, ou lié à la sécurité du moi ; l’autre éveille un désir plus archaïque, pulsionnel, souvent teinté d’interdit ou d’idéalisation. Ce double amour révèle une division intérieure : deux figures, deux attachements, deux fonctions qui ne coïncident pas nécessairement. C’est moins un triangle qu’un théâtre interne, où s’affrontent et coexistent les représentations du lien.

Un moi divisé entre fidélité et mouvement

Aimer deux personnes, c’est parfois vivre une tension entre une fidélité intériorisée — au couple, à l’engagement, à une image de soi “cohérente” — et une aspiration au mouvement, au vivant, à une part de soi jusque-là réprimée. Ce conflit active le surmoi : le sujet se juge, se soupçonne, se défend d’éprouver ce qu’il éprouve pourtant profondément. La culpabilité surgit moins du fait d’aimer deux personnes que du fait de se sentir disloqué intérieurement.

Une tentative de réparation inconsciente

Dans certains cas, ce double attachement est une tentative inconsciente de réparer un lien archaïque, souvent parental. Il s’agit alors de chercher, dans deux objets distincts, ce qui n’a pu se réunir en un seul. Aimer deux personnes devient une façon de recomposer un objet parental clivé : bon et mauvais, rassurant et menaçant, absent et envahissant. Le sujet ne triche pas ; il essaie de réunir symboliquement ce qui fut vécu comme irrémédiablement séparé.

Ce que le conflit éclaire sur le sujet

La question “peut-on aimer deux personnes à la fois” est, en soi, moins intéressante que celle-ci : “que signifie pour moi d’aimer deux personnes à la fois ?”. Le symptôme n’est pas dans la pluralité des liens, mais dans la manière dont le sujet s’y sent pris, déchiré ou, au contraire, vivifié. La réponse est donc singulière. Pour certains, il s’agira d’un évitement de l’engagement ; pour d’autres, d’une avancée vers un moi plus entier.

Aimer doublement : crise ou passage ?

Ce double amour n’est pas nécessairement une impasse ; il peut être un moment de remaniement intérieur. Une crise qui, bien que douloureuse, permet de réinterroger le rapport au désir, à l’autre et à soi. Dans certains cas, une position s’éclairera, un choix s’imposera ; dans d’autres, le sujet découvrira qu’il n’est pas tant question de choisir entre deux personnes que de s’autoriser à sortir d’un clivage psychique.