Réseaux sociaux : comment l’algorithme capte nos manques

Ce que l’on voit sur nos écrans ne résulte pas d’un hasard. Chaque image, chaque vidéo, chaque suggestion est le fruit d’un calcul. Mais derrière ce mécanisme froid se cache une logique plus intime, presque troublante : celle d’une rencontre entre les algorithmes et nos zones les plus silencieuses. Car si la machine apprend ce que nous aimons, elle finit aussi par flairer ce qui nous manque.
L’algorithme comme miroir sensible
Les algorithmes des plateformes ne lisent pas nos pensées. Ils enregistrent nos gestes : ce que l’on clique, ce que l’on regarde longtemps, ce que l’on arrête juste avant la fin. Ce sont ces micro-indices qui tracent peu à peu la cartographie d’un intérêt. Mais plus encore que ce que l’on aime, ce système apprend ce vers quoi l’on revient en boucle, même sans l’assumer. Il repère nos fixations, nos hésitations, nos curiosités furtives. L’algorithme ne capte pas seulement une préférence consciente, il reconstruit, sans le dire, un profil émotionnel.
Un langage des manques
Ce que l’on cherche en ligne n’est pas toujours ce que l’on veut. Très souvent, c’est ce qui nous manque qui guide notre navigation. La tendresse, l’attention, le corps rêvé, le succès inaccessible, la reconnaissance. Le flux s’enrichit alors de contenus qui parlent à ces manques. Cela peut sembler anodin — une vidéo motivante, un tutoriel beauté, une scène de complicité — mais ce que l’on regarde longuement, ce que l’on répète, trahit une zone vide. L’algorithme affine alors son offre non en fonction de notre conscience, mais de nos failles.
Une boucle affective fermée
À force de nourrir nos manques, les réseaux les entretiennent. Ce qui nous est proposé vient combler momentanément, mais jamais durablement, ce que l’on ne verbalise pas. On regarde pour compenser, on clique pour ressentir quelque chose, on scrolle pour calmer une tension floue. L’algorithme s’ajuste en permanence à notre réactivité émotionnelle. Il devient, malgré lui, un régulateur affectif. Mais dans cette boucle fermée, aucune transformation ne se produit. Le manque est reconnu, flatté, mais non traversé.
Reprendre la main sur le vide
La seule manière de sortir de cette logique est d’interroger ce qui, en nous, revient sans cesse dans le flux. Ce n’est pas l’algorithme qui nous piège, mais ce que l’on évite de sentir. En ralentissant, en observant ce que l’on cherche vraiment, on peut transformer la plateforme en espace de conscience, non plus de fuite. Il ne s’agit pas d’en faire un lieu d’introspection, mais de ne plus lui déléguer entièrement le pouvoir de définir ce que nous désirons. Là où l’algorithme parle, il faut parfois réintroduire un silence.