Être celui ou celle qui va bien : un rôle parfois difficile à tenir

On croit souvent que le bonheur simplifie les relations. Qu’un mieux-être facilite l’échange, apaise les tensions, réchauffe les liens. Pourtant, lorsque l’on commence à aller mieux, que l’on traverse une période d’équilibre ou de réussite, un malaise peut apparaître dans certaines amitiés. Loin d’ouvrir la parole, cet apaisement crée parfois du silence. Il devient difficile de parler de soi, de son bonheur, de ce qui va bien quand l’autre, en face, souffre encore. Et l’on découvre qu’aller bien n’est pas toujours la position la plus simple.
Le poids de la culpabilité silencieuse
Dire que l’on va bien, dans un contexte de souffrance ou de crise chez l’autre, semble parfois indécent. On craint de blesser, de paraître arrogant, d’ajouter une tension à une situation déjà fragile. Cette retenue peut devenir une forme de culpabilité inconsciente : « pourquoi moi et pas lui ? », « ai-je le droit d’être bien alors qu’il ne s’en sort pas ? » Ce sentiment n’est pas toujours formulé, mais il s’impose à travers des silences, des détours, des justifications maladroites. Comme si le mieux-être était une trahison silencieuse du pacte d’égalité implicite dans l’amitié.
Le changement de place dans le lien
Dans certaines relations, aller bien revient à briser une dynamique installée : celle où l’on partageait la plainte, l’inquiétude, le sentiment d’être en marge. Quand l’un sort de cette position commune, il bouleverse l’équilibre du lien, souvent sans le vouloir. Celui qui va bien peut devenir une menace inconsciente, un miroir douloureux. Non pas parce qu’il provoque, mais parce qu’il incarne un possible que l’autre n’est pas prêt à envisager. L’envie, le ressentiment ou le retrait se glissent alors dans les échanges, et rendent l’expression du mieux-être difficile à assumer.
L’exemple de Camille et Lucie : la joie contenue
Camille, 35 ans, sort peu à peu d’un épisode dépressif long. Elle reprend confiance, rencontre un nouvel amour, retrouve un rythme de travail satisfaisant. Elle veut le partager avec Lucie, son amie proche, qui l’a beaucoup soutenue. Mais Lucie, en pleine séparation, se montre distante. Elle écoute peu, ramène toujours la conversation à ses propres difficultés. Camille finit par ne plus parler de ce qu’elle vit, de peur de culpabiliser Lucie. Ce silence la rend triste, comme si elle devait cacher son bonheur pour ne pas perdre le lien. En analyse, elle comprend que sa culpabilité est ancienne, liée à un schéma familial où elle devait toujours s’effacer pour ne pas déranger.
S’autoriser à aller bien sans s’excuser
Il est possible de respecter la souffrance de l’autre sans s’enchaîner à elle. Aller bien n’est pas un acte violent : c’est une réalité qu’il faut apprendre à dire, même dans la fragilité de l’amitié. Cela ne signifie pas imposer son apaisement, mais refuser de l’effacer. Une amitié durable peut accueillir des états différents, à condition qu’ils ne soient pas niés ni instrumentalisés. L’amitié n’est pas une synchronisation constante, mais un espace où chacun peut exister sans culpabilité. Et parfois, c’est aussi en parlant de ce qui va bien que l’on redonne du souffle au lien.