Vivre seul pour ne pas dépendre : quand l’autonomie devient défense

L’autonomie est une valeur largement célébrée. Elle évoque la liberté, la maturité, la force intérieure. Mais dans certains cas, elle fonctionne comme un masque protecteur : une manière d’éviter le lien pour ne pas s’exposer à la dépendance. Vivre seul devient alors plus qu’un choix de mode de vie : c’est un dispositif défensif élaboré, destiné à garder le contrôle, à ne pas avoir à faire confiance, à ne pas risquer de manquer.
Le fantasme d’autosuffisance
Chez certaines personnes, l’autonomie est poussée à un degré tel qu’elle devient suspecte. Tout est géré seul : les décisions, les émotions, les projets. Le lien à l’autre est toléré, mais à distance, et toujours dans des cadres maîtrisables. Derrière cette organisation, on trouve souvent une peur ancienne : celle d’être dépendant, et donc vulnérable. L’expérience du lien a pu être marquée par la trahison, l’indisponibilité, ou une forme d’intrusion affective. Alors, la solitude devient une citadelle. Elle protège de la répétition de la blessure, mais empêche aussi l’accès au réconfort du lien véritable.
L’autre comme menace potentielle
Dans ces configurations, l’intimité est vécue comme dangereuse, car elle suppose de lâcher prise, de laisser de la place à l’autre. Or, pour celui ou celle qui a construit son identité sur l’idée qu’il faut se débrouiller seul, toute proximité est suspecte. Elle évoque un risque de fusion, de perte de soi, ou d’abandon. L’autre est désiré, mais redouté. Les relations se multiplient parfois, mais restent superficielles ou limitées dans le temps. Le moi se vit comme solide, mais il est en réalité rigide : il ne supporte pas l’altération, l’adaptation, l’imprévu. L’autonomie devient alors une défense contre la peur d’avoir besoin, et donc de souffrir.
Exemple : Raphaël, seul et méfiant
Raphaël, 44 ans, vit seul depuis plus de dix ans. Il affirme qu’il « n’a besoin de personne » et que « tout va bien ainsi ». Mais en thérapie, il évoque des souvenirs d’enfance marqués par une mère très intrusive, et un père émotionnellement absent. Chaque tentative de lien s’est soldée par une impression d’être envahi ou négligé. Avec le temps, il a préféré ne plus rien attendre. Il gère tout seul, soigne son autonomie comme une preuve de maîtrise. Mais il reconnaît aussi une forme de vide, une fatigue diffuse, et l’impression d’être passé à côté de certaines choses. Il commence à comprendre que cette indépendance est moins une liberté qu’un enfermement subtil.
De la défense au choix conscient
Vivre seul ne signifie pas nécessairement fuir le lien. Mais il est essentiel de savoir si cette solitude est habitée par un besoin profond, ou dictée par une peur ancienne. Ce n’est qu’en repérant les mécanismes défensifs que l’on peut faire de l’autonomie un véritable choix, et non une réaction inconsciente. Il ne s’agit pas de se forcer à vivre à deux, mais de reconnaître que la dépendance n’est pas une faiblesse. C’est une donnée humaine, que l’on peut apprivoiser sans s’y perdre. Et parfois, la vraie liberté commence là : dans la possibilité d’avoir besoin, sans honte ni effondrement.