Pourquoi le bénévolat peut devenir une scène sacrificielle

Le bénévolat est souvent associé à la générosité, au lien, à l’envie de faire sa part. Pourtant, chez certaines personnes, il prend peu à peu la forme d’un dévouement extrême, qui dépasse le simple engagement pour devenir un théâtre d’effacement de soi. Ce n’est plus seulement aider, mais se sacrifier. Offrir tout son temps, sa disponibilité, son énergie, sans mesure ni retour, comme si cela était une condition de valeur. Cette dynamique, valorisée en apparence, peut cacher un conflit plus profond : le besoin de se faire aimer en étant irréprochable, quitte à s’oublier totalement.
Le besoin d’être “bon” pour exister
Derrière l’investissement excessif se cache souvent une construction psychique ancienne : celle d’un amour perçu comme conditionnel, où il fallait mériter la place, la reconnaissance ou l’attention. Être utile devient alors une stratégie identitaire. Il ne s’agit plus d’offrir ce que l’on peut, mais de se définir par ce que l’on donne. L’engagement associatif se transforme alors en une scène morale : plus on donne, plus on est “bon”. Mais cette logique, profondément intériorisée, empêche toute détente relationnelle. La personne s’interdit la limite, le doute, la fatigue. Elle devient, malgré elle, otage de sa fonction. Ce sacrifice continu n’est pas une générosité libre, mais une tentative de réparation permanente.
Un oubli de soi valorisé, mais destructeur
Ce qui rend cette posture difficile à identifier, c’est qu’elle est souvent applaudie : la personne est perçue comme admirable, dévouée, indispensable. Et elle y croit elle-même, tant cela vient combler un vide narcissique ancien. Mais plus elle donne, moins elle s’écoute. Les signaux d’alerte sont niés, les besoins personnels minimisés. Elle n’ose pas dire non, de peur de ne plus être aimée. Le bénévolat devient un refuge moral où elle tient debout, non pas parce qu’elle va bien, mais parce qu’elle tient bon. Cette scène sacrificielle est subtile : elle se joue dans l’enthousiasme, la présence, mais elle masque une immense difficulté à se sentir digne d’amour sans effort.
Exemple : Camille, irréprochable… et épuisée
Camille, 38 ans, est bénévole dans une association culturelle. On la décrit comme “formidable”, toujours là, toujours prête. Mais en privé, elle avoue se sentir vidée, incapable de poser des limites, et en colère sans comprendre pourquoi. En thérapie, elle évoque une enfance où il fallait être sage, gentille, efficace pour ne pas “faire de vagues”. Elle comprend que son engagement est nourri par une peur de décevoir, une angoisse de ne plus avoir de place si elle s’arrête. Elle commence à envisager une nouvelle façon d’être engagée : en se respectant, en laissant place au doute, à la limite, au droit de dire non. Elle découvre que l’on peut être précieuse pour un groupe sans se sacrifier entièrement à lui.
Revenir à un don habité
Être engagé, c’est se donner. Mais se donner ne veut pas dire s’abandonner. Lorsque le bénévolat devient une injonction à être parfait, il perd sa fonction vivante. Il enferme au lieu d’ouvrir. Se réapproprier le choix de l’engagement, poser des limites, accepter sa vulnérabilité, permet de transformer cette scène sacrificielle en une présence réelle. Non plus pour être aimé malgré soi, mais pour contribuer depuis soi.