Psychologie

Certaines personnes s’investissent avec une intensité constante dans leur association, leur collectif ou leur groupe d’entraide. Elles sont toujours là, toujours disponibles, toujours prêtes à répondre, à organiser, à porter. Derrière cette présence irréprochable se cache parfois une peur plus ancienne : celle de ne plus exister si l’on cesse d’être nécessaire. Être utile devient un mode d’ancrage identitaire, une réponse au vide intérieur et une protection contre l’effacement subjectif.

Être celui ou celle qu’on ne peut pas remplacer

Le besoin d’être indispensable n’est pas seulement lié à la conscience professionnelle ou à la générosité. Il renvoie souvent à une angoisse plus primitive : si je ne sers à rien, alors je n’existe plus. Le lien devient conditionnel à l’utilité. L’attention, l’amour, la reconnaissance sont perçus comme dépendants de la fonction que l’on occupe. Cela crée une boucle d’hyper-engagement : il faut toujours être là, montrer qu’on tient, qu’on gère, qu’on peut porter davantage. Cette posture rassure sur le moment, mais elle use à petit feu. Car elle ne permet ni la vulnérabilité, ni l’absence, ni même le simple relâchement. Le sujet s’identifie à sa fonction, comme si son être profond ne suffisait pas à justifier sa présence dans le lien.

La peur de l’effacement

L’idée même de se mettre en retrait génère une angoisse difficile à nommer. Ne plus être indispensable revient, inconsciemment, à risquer d’être oublié, remplacé, effacé. C’est souvent le signe que l’image de soi s’est construite sur la base du service, de la réparation, ou de la performance affective. Être vu, c’est être utile. Être aimé, c’est être capable. Et lorsque le contexte change — une baisse d’activité, une réorganisation du groupe — le sujet peut ressentir un vertige : qui suis-je s’il n’y a plus de besoin auquel répondre ? C’est dans ce moment-là que la blessure originelle affleure : celle d’un amour jamais inconditionnel, d’une place jamais gratuite. Et c’est aussi dans cette mise en tension que peut émerger une transformation plus intime.

Exemple : Hélène, 40 ans, incapable de déléguer

Hélène, 40 ans, est la colonne vertébrale d’une association d’entraide. Tout passe par elle. Elle le reconnaît : elle ne sait pas lâcher, ni déléguer, ni prendre de recul. En séance, elle explore son passé familial. Elle parle d’une mère malade, d’un père absent, et de cette sensation d’avoir dû “tenir” dès l’adolescence. Elle comprend que son engagement n’est pas qu’altruiste : il lui permet de se sentir exister, de ne pas sombrer dans une forme d’invisibilité intérieure. Elle commence à accepter que son absence ne détruira pas le groupe, que poser des limites ne signifie pas trahir. Et que sa valeur ne dépend pas uniquement de ce qu’elle apporte.

Exister sans se prouver

Être investi, présent, engagé n’est pas problématique en soi. Ce qui l’est, c’est de croire que notre place ne tient qu’à ce que nous faisons, et jamais à ce que nous sommes. Distinguer l’action de l’existence permet d’alléger la relation, de retrouver un espace de respiration. L’enjeu n’est pas de devenir inutile, mais de pouvoir être aimé, regardé, accueilli même lorsqu’on ne porte rien. Et peut-être que c’est dans ce lâcher-prise que naît un nouveau type de lien : moins héroïque, mais plus juste.

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