Citoyenneté spectacle : manifester, liker, s’indigner… et après ?

La démocratie semble aujourd’hui saturée d’expressions. On défile, on publie, on partage, on s’indigne, on commente. Jamais les signes d’engagement n’ont été aussi visibles, mais jamais le sentiment d’impuissance n’a été aussi profond. Cette dissociation entre expressivité maximale et efficacité minimale nourrit une forme nouvelle de désillusion : celle d’une citoyenneté réduite à sa dimension spectaculaire. Elle occupe la scène, mais change-t-elle le réel ?
Montrer qu’on agit, plutôt qu’agir ?
Manifester, publier une story engagée, signer une pétition en ligne : autant d’actes qui donnent le sentiment d’exister politiquement. Mais ce qui est souvent mis en avant n’est pas tant l’impact que l’expression de soi. La sincérité n’est pas en cause, mais le régime de visibilité dans lequel elle s’inscrit : être vu en train de s’indigner, de résister, de soutenir. L’acte politique glisse vers une forme d’auto-mise en scène. On performe son engagement, parfois plus qu’on ne le prolonge dans le temps, dans l’analyse, dans l’organisation.
L’indignation comme rituel émotionnel
L’indignation est devenue un réflexe. Elle se diffuse rapidement, se consomme presque comme une émotion publique. Mais que se passe-t-il une fois l’émotion exprimée ? L’indignation sans suite peut conduire à une fatigue morale, voire à un cynisme discret. L’excès de stimulation émotionnelle finit par produire une forme d’anesthésie. On s’indigne de tout, mais rien ne bouge vraiment. Le politique devient une succession de chocs, sans continuité. Et l’on confond trop souvent le fait de réagir avec celui de transformer.
Engagements courts, effets incertains
Les formes d’action contemporaines sont souvent éphémères. Hashtags, happenings, chaînes de partages remplacent les formes longues de l’organisation. Ce sont des signaux, pas des stratégies. Elles mobilisent sur le moment, mais peinent à structurer un rapport durable au pouvoir. Leur force réside dans leur immédiateté, leur faiblesse dans leur absence de profondeur. Ce qui manque, ce n’est pas la parole, mais l’endurance. Une démocratie vivante demande plus qu’un éclair : elle suppose des alliances, des projets, du temps long.
Refonder l’engagement sans renier sa visibilité
Faut-il pour autant rejeter ces formes expressives ? Non. Elles répondent à un besoin réel de participation, de reconnaissance, de lien. Mais il faut les penser comme des portes d’entrée, pas comme des finalités. À l’indignation, il faut ajouter l’enquête. À la visibilité, le travail. À l’élan, l’organisation. Une citoyenneté ne se résume pas à ce qu’elle montre : elle vaut par ce qu’elle construit. L’engagement commence peut-être sur un écran, mais il ne peut s’y limiter. Le politique a besoin de récit, de stratégie et de persistance.