Psychologie

Dans un paysage médiatique saturé, capter l’attention devient un impératif économique. Or, parmi les leviers les plus efficaces, le conflit se révèle redoutablement performant. Les talk-shows d’opinion, en particulier à la télévision, ont intégré cette logique au point de la structurer. Le débat n’est plus un échange d’idées, mais un dispositif scénarisé, pensé pour générer de la tension, du buzz, de la visibilité. L’opinion ne vaut plus pour sa profondeur, mais pour sa capacité à produire de la friction. Ce déplacement transforme le rôle du débatteur, la nature du discours, et le rapport du public à la pensée.

Le clash comme moteur narratif

Dès les premières minutes, l’émission construit les conditions d’un affrontement. Les oppositions sont choisies, surjouées, accélérées pour produire une tension qui retient l’attention. Un chroniqueur est présenté comme « clivant », un invité « controversé », un autre « indigné » : les camps sont dessinés d’avance. Dans l’émission Touche pas à mon poste, les désaccords sont systématiquement mis en scène comme des événements, et non comme des processus de réflexion. Le clash devient ainsi un format à part entière : il a sa grammaire, ses codes, ses pics d’audience. Peu importe la cohérence du propos : ce qui compte, c’est l’impact émotionnel instantané.

L’opinion comme spectacle rentable

Le contenu idéologique importe moins que la force de l’expression. Une phrase polémique, une indignation télévisée, un haussement de voix suffisent à produire du « temps de cerveau disponible ». Sur CNews, certains éditorialistes ne sont pas là pour convaincre, mais pour catalyser la réaction : provoquer l’indignation, séduire une niche, alimenter les réseaux sociaux. Ce cycle est auto-entretenu : plus le propos choque, plus il est partagé ; plus il est partagé, plus il légitime sa propre exagération. L’opinion devient ainsi une marchandise, calibrée pour l’économie de l’attention. Elle n’est plus un chemin de pensée, mais un vecteur de performance médiatique.

La parole piégée par sa propre forme

Ce système a un effet corrosif sur la parole publique. Elle cesse d’explorer la complexité pour s’adapter à un modèle binaire, réactif, souvent hargneux. Les interventions nuancées, les doutes assumés, les analyses lentes trouvent difficilement leur place dans ces formats. Pire encore, ceux qui adoptent cette posture sont jugés « mous », « invisibles », « pas télévisuels ». Ce biais disqualifie progressivement les formes de parole qui ne sont pas immédiatement clivantes. Le débat public s’appauvrit à mesure que la performance remplace la construction. À terme, cette logique altère notre capacité collective à réfléchir : elle habitue l’esprit à opposer plutôt qu’à relier.

Ralentir, complexifier, résister

Face à cette mécanique du clash, il devient crucial de réhabiliter d’autres formes de présence médiatique. La parole n’est pas faite pour choquer, mais pour éclairer. Il ne s’agit pas de moraliser les formats, mais de repenser leurs finalités : à quoi sert un débat si l’on ne peut y penser librement ? Ralentir l’échange, accepter le silence, valoriser la nuance ne sont pas des faiblesses, mais des choix éditoriaux courageux. Dans un monde qui carbure à la conflictualité rentable, résister à la tentation du clash, c’est faire le pari d’un espace public encore capable de subtilité.

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