L’inflation des premiers rendez-vous : trop de choix tue-t-il le désir ?

Ils se succèdent, s’enchaînent, parfois sans laisser de trace. On se donne rendez-vous, on échange un verre, quelques impressions, puis on passe au suivant. À l’heure des rencontres facilitées par les applications, le premier rendez-vous semble être devenu une étape standardisée, presque banalisée. Mais ce rythme effréné ne transforme-t-il pas notre rapport au désir, à l’autre, à l’engagement émotionnel ?
L’illusion d’un marché affectif sans fin
Les applications de rencontre ont créé une disponibilité permanente d’éventuels partenaires. Ce flux continu donne l’impression que l’on peut toujours trouver mieux, plus stimulant, plus “compatible”. Le premier rendez-vous devient alors un test de surface, une audition, un filtre de plus dans un processus de tri. Le problème, c’est que cette logique emprunte plus aux codes de la consommation qu’à ceux du lien.
Le désir pris au piège de l’évaluation
Face à cette accumulation de rencontres, le désir s’essouffle, car il ne trouve plus le temps de s’installer. Trop d’attentes, trop peu de projections ; on passe vite de l’enthousiasme à la déception. La comparaison permanente empêche l’émergence d’une surprise, d’un attachement, d’un trouble. On finit par regarder chaque rendez-vous comme une expérience à valider ou rejeter, plutôt qu’un moment à vivre.
L’autre devient interchangeable
Ce qui frappe dans ce phénomène, c’est la manière dont le premier rendez-vous perd sa singularité. L’autre est souvent perçu à travers une grille : attirance physique, conversation fluide, humour, perspectives. On coche des cases, on prend des notes mentales. Ce processus, s’il est parfois rassurant, finit par neutraliser l’inattendu, l’inconfort créatif, ou la tension affective – éléments essentiels à la naissance du désir.
La peur de manquer comme moteur inconscient
Cette multiplication des premiers rendez-vous repose souvent sur une angoisse de fond : celle de rater la “bonne” personne. Le fantasme de la meilleure option alimente une insatisfaction chronique. On pense que le désir sera au rendez-vous si l’autre est “parfait”, mais on oublie que le désir naît aussi du manque, du temps, de la confrontation à l’altérité – toutes choses que le zapping émotionnel empêche.
Réhabiliter la lenteur et la profondeur
Face à cette inflation, la question n’est pas de diaboliser les applis ou les premières rencontres, mais de repenser la temporalité du lien. Peut-on encore s’autoriser à rencontrer sans attendre l’évidence immédiate ? À laisser l’envie se construire ? À supporter l’incertitude d’une rencontre qui ne se révèle pas tout de suite ? Le désir, loin de se déclencher sur commande, se cultive dans l’espace vide laissé à l’autre.