Psychologie

Longtemps, le direct a incarné une promesse journalistique : celle de l’immédiateté, de l’authenticité, du non-filtré. Mais à mesure qu’il s’est imposé comme forme dominante dans les médias audiovisuels, il a transformé la manière dont l’information est perçue et digérée. Loin d’un accès plus brut au réel, le direct installe souvent une déréalisation continue. En saturant l’espace public d’événements suivis en temps réel, sans recul, sans hiérarchisation, il fragilise la capacité d’analyse, substitue le choc à la compréhension, et fait du spectateur un témoin passif d’un présent qui s’échappe.

Une présence sans profondeur

Le direct donne le sentiment d’être « au cœur de l’événement », mais ce cœur est souvent creux. Ce qui est donné à voir en direct, ce n’est pas l’événement lui-même, mais son attente, sa mise en scène, son agitation. Lors des attentats de 2015, ou plus récemment lors des émeutes urbaines, les chaînes d’information en continu multiplient les duplex depuis des lieux symboliques : commissariats, places publiques, lieux de tension. Mais les journalistes, souvent privés d’informations vérifiées, n’ont rien à dire — ils remplissent. Ce remplissage crée une illusion de présence tout en éloignant du réel. On est là, mais sans savoir pourquoi, ni avec quelles clés. L’image remplace le sens, la parole se vide de contenu, et le flux devient sa propre finalité.

L’accélération au détriment de la compréhension

Le direct impose un rythme. Il exige de parler avant de savoir, de commenter avant de comprendre, de diffuser avant de confirmer. Ce mécanisme, loin d’être anodin, modifie la logique même de l’information. Lors de la crise des Gilets jaunes, des journalistes de terrain reconnaissent avoir parfois « brodé » pour combler le vide d’un direct imposé par la rédaction. L’instantané crée une pression constante : il faut montrer quelque chose, n’importe quoi, plutôt que d’attendre et de structurer. Ce temps volé à l’analyse est un temps que le public ne retrouvera pas. Et il fabrique, à terme, une fatigue cognitive : trop d’images, trop peu de repères.

Une réassurance émotionnelle plutôt qu’une élucidation

Sous couvert d’objectivité, le direct sert aussi une fonction émotionnelle : il rassure, en donnant le sentiment que tout est couvert, qu’aucun événement ne nous échappe. Mais cette réassurance est trompeuse. Ce n’est pas la réalité que l’on reçoit, mais une suite de fragments captés sous contrainte, sans mise en contexte. Le traitement en direct de la guerre en Ukraine, par exemple, a multiplié les interventions depuis des zones « frontalières », sans lien direct avec les opérations militaires. L’image est là, l’émotion est forte, mais le savoir est absent. Ce trop-plein de présence finit par produire l’effet inverse : l’engourdissement. Face au vacarme du direct, l’analyse semble lente, dépassée — alors qu’elle est justement ce qui permettrait de comprendre.

Un besoin de silence pour revenir au réel

Le direct, à force de vouloir tout montrer, finit par dissoudre ce qu’il prétend révéler. Ce n’est pas le réel qui nous échappe, c’est notre capacité à l’habiter avec lucidité. Revenir à l’analyse, c’est accepter la temporalité de la distance, le droit au non-savoir provisoire, la valeur du montage réfléchi. Ce n’est pas nier l’importance du direct dans certaines situations (alerte, catastrophe), mais reconnaître que sa généralisation crée un écran de fumée. À force de courir après l’instant, on oublie de construire du sens. Et sans sens, il ne reste qu’un présent perpétuel, vide et anxiogène.

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