Avoir été “le plus mature” : poids d’un rôle ancien dans les liens présents

Certaines personnes traversent la vie sociale avec un sentiment de responsabilité accrue. Dans les groupes, elles sont celles qui rassurent, qui conseillent, qui cadrent. Elles donnent le ton, apaisent les tensions, prennent soin des autres – parfois jusqu’à l’épuisement. Ce rôle, qui semble valorisé, repose souvent sur une histoire ancienne où la maturité n’était pas un choix, mais une nécessité psychique.
De l’enfant parentifié à l’adulte trop solide
Derrière cette maturité précoce se cache souvent un scénario d’inversion des rôles. L’enfant, au lieu d’être contenu, a dû contenir. Il ou elle a dû comprendre les émotions de l’adulte, anticiper, s’ajuster. Ce développement accéléré a laissé une empreinte silencieuse : celle d’être celui ou celle qui tient, quoi qu’il arrive. À l’âge adulte, cette posture se rejoue dans les liens : on endosse naturellement la position du pilier, du sage, du disponible. On ne se l’autorise pas, on l’incarne sans même y penser. Mais cette solidité apparente a un prix : elle interdit le relâchement, l’imperfection, le droit d’être fragile. Le lien devient un lieu de contrôle, plus qu’un espace de réciprocité.
L’impossibilité d’être simplement là
Dans les interactions, cette posture crée un déséquilibre. Les autres s’habituent à s’appuyer, à recevoir, à chercher un appui constant. Mais la personne dite “mature” peine à faire l’expérience d’un lien horizontal, où elle pourrait simplement être, sans devoir gérer. Elle devient parfois spectatrice de sa propre solitude affective. Car si elle ne tient pas le cadre, elle craint que la relation vacille. Elle n’a pas appris à laisser l’autre contenir, à se laisser surprendre, ni à apparaître vulnérable. Ce verrouillage affectif empêche souvent la détente intérieure, et rend la proximité émotionnelle complexe. Le lien, même riche, n’atteint jamais la profondeur d’un vrai relâchement.
Exemple : Hugo, toujours en responsabilité
Hugo, 35 ans, est celui que tout le monde appelle en cas de doute ou de crise. Il répond toujours, avec calme, avec justesse. Mais il dit que dans l’amitié, il ne se sent jamais vraiment rejoint, comme si tout reposait sur lui. En thérapie, il revisite son enfance passée auprès d’une mère anxieuse et d’un père absent. Très tôt, il a appris à tempérer, à éviter les débordements, à “gérer” l’ambiance familiale. Aujourd’hui, il reproduit cette fonction dans ses liens : il anticipe les besoins, donne des conseils, veille à l’harmonie. Mais il se sent seul. Il n’ose pas exprimer ce qui le traverse vraiment. Il commence à comprendre que ce qu’il offre est précieux, mais que ce qu’il se refuse l’est tout autant : le droit d’être fragile, imprévisible, ou simplement silencieux.
Réhabiliter la part immature en soi
Sortir de cette posture ne signifie pas devenir irresponsable. Mais retrouver l’équilibre suppose d’accepter qu’un lien vivant se construit aussi dans l’incomplétude. Oser ne pas savoir, ne pas répondre, ne pas être toujours solide. Cela demande du courage pour celui qui a construit toute sa sécurité sur cette image. Mais c’est aussi dans cette ouverture que se glisse une forme nouvelle de lien : un lien où l’on n’est pas seulement utile, mais accueilli. Non pour ce qu’on porte, mais pour ce qu’on est.