Psychologie

L’engagement pour une cause est souvent présenté comme un signe de générosité, de courage, de clarté morale. Mais il peut aussi fonctionner comme un écran : lorsque l’énergie tournée vers l’extérieur empêche toute confrontation avec une histoire intérieure restée en friche. Se battre pour une cause permet alors de déplacer un conflit plus intime, d’investir un combat collectif à la place d’un travail personnel, plus risqué, plus douloureux, plus incertain.

L’extériorisation comme évitement psychique

Lorsqu’un idéal devient envahissant, qu’il capte toute l’attention, toute l’énergie, toute la valeur personnelle, il peut masquer une fuite. Ce n’est pas la cause en elle-même qui est en cause, mais la manière dont elle est utilisée comme rempart contre soi. L’intensité émotionnelle, la mobilisation permanente, le besoin d’être “du bon côté” peuvent alors tenir lieu d’ancrage identitaire. Le militantisme devient une structure défensive : il donne sens, cadre, excitation. Mais il interdit aussi le vide, la régression, l’introspection. Il protège de ce qui, en soi, n’est pas encore symbolisé : des blessures anciennes, des conflits familiaux non traités, des sentiments d’injustice vécus dans l’enfance qui trouvent enfin un espace pour s’exprimer — ailleurs.

L’idéalisation pour éviter l’ambivalence

Dans ce contexte, la cause devient sacrée. Elle ne tolère ni nuance, ni faille, ni contradiction, car elle contient psychiquement une part refoulée de soi. En la défendant, on défend quelque chose de plus profond : une dignité perdue, une douleur tue, une injustice non digérée. Le problème, c’est que toute remise en question du collectif est alors vécue comme une atteinte personnelle. L’idéal prend la place du moi, et toute distance devient impossible. Ce mécanisme permet de se préserver, mais il empêche de penser. Il enferme le sujet dans une posture héroïque, là où une vulnérabilité muette continuerait de réclamer une place, autrement.

Exemple : Camille, toujours en lutte, mais pour qui ?

Camille, 29 ans, milite depuis plusieurs années dans des collectifs pour les droits sociaux. Elle est active, présente, souvent à l’initiative de projets. Mais elle s’effondre lorsqu’un désaccord surgit dans le groupe, ou quand une cause échoue. En thérapie, elle évoque une enfance marquée par un père autoritaire et une mère silencieuse, avec un fort sentiment d’impuissance. Elle comprend que son engagement est une manière de reprendre un pouvoir symbolique, de transformer sa colère passée en action reconnue. Mais elle perçoit aussi combien cette mobilisation permanente l’empêche d’explorer sa propre histoire. En acceptant que son engagement puisse contenir une part de fuite, elle commence à différencier ce qui vient d’elle et ce qui appartient vraiment à la cause. Et peut-être à redevenir un peu plus libre dans son combat.

Retrouver une parole intime dans l’engagement

L’engagement reste une voie précieuse de transformation collective. Mais il ne peut tenir lieu, à lui seul, de réparation intérieure. Lorsque la cause devient une protection contre l’histoire personnelle, elle prend une force qui la rend dangereusement fusionnelle. Revenir à soi ne signifie pas renoncer à s’engager, mais ouvrir un espace de parole plus intime, plus ambivalent, plus vivant. C’est peut-être là que commence le vrai courage : non dans la pureté de la cause, mais dans l’acceptation de ses résonances inconscientes.

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