S’engager pour exister : quand l’association devient un lieu d’identification

Derrière le désir d’aider, de contribuer, de s’impliquer, il y a parfois autre chose. Un besoin plus souterrain : celui d’exister enfin dans un cadre qui nous accueille, nous nomme, nous légitime. Le collectif associatif, en particulier lorsqu’il s’appuie sur des valeurs fortes ou des actions concrètes, peut alors devenir un espace d’identification intense. On y découvre une image de soi valorisée, reconnue, soutenue. Mais cette identification peut aussi révéler un manque plus profond : celui d’une construction narcissique fragile, en quête de validation externe.
Se sentir “quelqu’un” dans l’action collective
Beaucoup de personnes disent avoir trouvé dans une association une famille, un espace d’épanouissement, voire une raison d’être. Ce que cette appartenance révèle, c’est parfois moins le goût de l’engagement que le besoin d’exister à travers une fonction, une place. Être “utile”, “engagé”, “présent”, devient alors une manière de se sentir vivant, digne, aligné. Cette reconnaissance sociale répare souvent une faille plus ancienne : un manque de regard structurant dans l’enfance, une place floue dans la famille, ou une image de soi mal ancrée. L’association vient combler ce vide, mais aussi le fixer. Car à force de se définir par ce que l’on donne, on en vient parfois à oublier ce que l’on est en dehors du cadre.
L’identification au rôle comme défense
Lorsqu’on s’engage corps et âme dans un collectif, il devient difficile de distinguer le “je” du “nous”. La fonction associative offre alors un masque valorisant, derrière lequel se cache une identité fragile, en quête de cohérence. Cette fusion temporaire apaise, mais elle peut aussi empêcher le sujet de s’individuer. La cause prend le pas sur le sujet, la fonction efface le doute. Ce mécanisme défensif n’est pas pathologique en soi, mais il peut enfermer : on devient dépendant du rôle, prisonnier de l’image de la personne engagée, solidaire, irréprochable. Et lorsque le collectif déçoit, se fragilise ou ne répond plus, la personne se retrouve démunie, sans autre point d’appui que celui qu’elle avait projeté dans l’extérieur.
Exemple : Manon, 28 ans, “enfin quelqu’un”
Manon, 28 ans, s’est impliquée dans une association de soutien scolaire avec une énergie impressionnante. Elle organise, encadre, anime. Mais elle avoue qu’en dehors de ce cadre, elle se sent vide, comme si elle ne savait plus vraiment qui elle était. En thérapie, elle parle d’une enfance où elle s’est souvent sentie “en trop”, peu valorisée par des parents préoccupés. Quand elle a rejoint l’association, elle a eu l’impression de “servir à quelque chose”, d’être vue, reconnue. Elle comprend que son investissement lui a permis de se construire une identité, mais aussi de se protéger d’un sentiment d’insignifiance plus ancien. Elle commence à envisager que son engagement peut rester fort, sans qu’il soit l’unique socle de son existence.
Vers un engagement plus libre
S’engager est une voie précieuse, une manière de se relier au monde. Mais lorsque cet engagement devient le seul lieu de valeur personnelle, il peut révéler une dépendance identitaire. Retrouver de l’air, de la souplesse, du jeu dans le lien associatif permet de se sentir à la fois dedans et à côté. Cela suppose de ne pas confondre la fonction avec la personne, la reconnaissance externe avec l’estime de soi. Et peut-être que c’est dans ce déplacement silencieux que l’engagement prend une autre forme : non plus un refuge contre le vide, mais un espace de présence plus libre, plus incarné.