Chercher une cause pour exister : l’engagement comme identité

Il existe des engagements sincères, construits, durables. Mais il en est d’autres, plus souterrains, qui surgissent là où le sentiment d’exister fait défaut. Quand la vie intérieure est trop floue, trop vide ou trop incertaine, la cause devient une armure, un repère, une manière d’avoir une forme. On ne milite plus seulement pour un idéal, mais pour s’agripper à une cohérence. L’engagement n’est plus un choix, il devient une identité de substitution.
Quand la cause donne contour au soi
S’investir dans une lutte peut être une manière de trouver sa place. La cause offre une grille de lecture, un langage, un espace où le flou personnel se transforme en posture. On adopte une vision du monde, on se relie à un groupe, on incarne une fonction. L’existence s’organise autour d’un « nous » qui devient un « moi », d’un combat qui structure les journées, les mots, les affects. Pour celles et ceux qui peinent à se sentir exister dans leur singularité, la cause vient remplir un vide, mettre de l’ordre dans le chaos intime.
L’intensité comme preuve d’existence
Plus l’insécurité intérieure est grande, plus l’engagement peut devenir radical, totalisant. L’intensité militante remplace l’authenticité du lien à soi. On se bat, on s’expose, on monte le ton, non seulement pour défendre une idée, mais pour sentir que l’on est là, vivant·e, nécessaire. Cette surenchère d’implication cache souvent une angoisse plus profonde : celle de disparaître si l’on n’agit pas. Le combat devient une scène où l’on rejoue sans cesse le besoin d’être vu, entendu, reconnu.
Le piège de la fusion avec le collectif
Le collectif offre un sentiment d’appartenance puissant, mais il peut aussi devenir un refuge contre la confrontation à soi. Dans certaines configurations, la cause devient un territoire clos, une bulle identitaire qui dispense de penser par soi-même. Le « nous » écrase le « je », et toute remise en question est vécue comme une trahison. Ceux qui doutent sont exclus, ceux qui se taisent sont soupçonnés. L’engagement devient dogme, non par stratégie, mais par peur de perdre le seul cadre existentiel perçu comme stable.
Retrouver un je sous le nous
Sortir de cette logique suppose un mouvement intérieur délicat. Il ne s’agit pas de renier la cause, mais de la remettre à sa juste place. Cela passe par la reconnaissance d’un besoin de contour, de sens, de reconnaissance. En accueillant cette fragilité fondatrice, l’individu peut désinvestir partiellement la cause sans perdre sa cohérence. Il retrouve un espace de subjectivité, de respiration, où l’engagement reste choix plutôt que nécessité. Ce déplacement discret permet à la lutte de rester vivante, et à la personne de ne pas s’y dissoudre.