De la rue aux réseaux : un engagement plus fluide, mais bien présent

On a trop vite interprété le désintérêt pour les partis ou l’abstention électorale comme une indifférence généralisée à la politique. Pourtant, une autre forme d’engagement s’est discrètement imposée, plus fragmentée, plus souple, souvent silencieuse. Elle ne passe plus par les structures traditionnelles, mais par des gestes diffus, des mobilisations ponctuelles ou des prises de position numériques. Ce n’est pas un désengagement, mais une métamorphose.
La fin du militantisme classique ?
Le modèle du militant encarté, fidèle à un parti et actif dans sa section locale, ne fait plus rêver. Cela ne signifie pas que les citoyens ont renoncé à l’action collective, mais qu’ils cherchent d’autres formats, plus compatibles avec leurs vies. Manifester une fois, signer une pétition en ligne, relayer une vidéo engagée : ce sont des formes d’expression plus accessibles, moins contraignantes, mais pas nécessairement moins sincères. On l’a vu lors des mobilisations pour Adama Traoré, contre la réforme des retraites ou autour du climat : des foules soudaines, très réactives, souvent coordonnées par les réseaux sociaux, sans passer par les appareils politiques. Ce sont des engagements à la carte, mais pas au rabais.
Le numérique comme caisse de résonance
Les réseaux sociaux ne remplacent pas la rue, mais ils en amplifient l’écho. Une photo bien cadrée, une prise de parole virale ou une action symbolique bien pensée peuvent mobiliser en quelques heures. L’engagement devient alors affaire de narration, d’image, de tempo. Les mouvements féministes, écologistes ou antiracistes l’ont bien compris, investissant Instagram, TikTok ou X (ex-Twitter) pour créer des récits puissants. Ce nouvel espace permet à chacun de s’impliquer selon ses moyens : commenter, partager, corriger une fausse information, exprimer une indignation. C’est une participation moins visible, moins hiérarchisée, mais elle produit de la culture politique. Et parfois même du changement.
Une action plus éphémère, mais pas moins engagée
On reproche souvent à ces engagements fluides leur volatilité. Il est vrai que l’on peut s’indigner un jour et passer à autre chose le lendemain. Mais cette temporalité courte correspond aussi à une société plus mobile, plus sollicitée, plus saturée. Le fait que l’engagement prenne la forme d’un geste ne le rend pas vain pour autant. C’est même parfois une manière de résister sans s’épuiser. On l’a vu pendant les confinements : certains ont cousu des masques, d’autres ont aidé leurs voisins, relayé des messages sanitaires ou dénoncé des abus. Ce sont des engagements situés, concrets, hors des grandes déclarations. Loin d’un repli, c’est une autre façon d’habiter le politique.
Une participation en mouvement
Ce que l’on appelle désengagement est souvent une mauvaise lecture de l’époque. Les formes d’action évoluent, mais le désir de justice, de solidarité ou de transformation demeure. Il faut donc accepter que l’engagement ne ressemble plus aux standards d’autrefois. La démocratie se réinvente aussi dans ces micro-actions, dans ces circulations souples entre la rue et l’écran. Il ne s’agit pas d’idéologiser la moindre story, mais de reconnaître que la participation politique, même fluide, est toujours là — vivante, inventive, parfois discrète, mais bien réelle.