Espérer être deviné par son psy : un vœu hérité de la relation parentale ?

Certaines personnes viennent en thérapie sans formuler de demande claire. Elles racontent, tournent autour, s’arrêtent, espèrent que le psy comprendra ce qui ne se dit pas. Il ne s’agit pas de timidité ou de prudence, mais d’un espoir plus profond : que l’autre perçoive, sans qu’on ait à dire, ce qui a toujours manqué. Ce souhait d’être deviné, reconnu dans l’implicite, renvoie à une mémoire affective précoce, où la parole n’existait pas encore, mais où le besoin d’être saisi était déjà vital.
L’origine du vœu de devinement
Dans les premiers liens de vie, le nourrisson dépend entièrement de l’intuition de l’autre. Il ne parle pas, mais il espère que ses pleurs, ses gestes, ses regards seront compris, traduits, apaisés. Quand cette attente n’est pas suffisamment rencontrée, un manque se creuse : celui d’avoir été « lu » sans avoir à s’expliquer. Plus tard, ce vide peut se rejouer dans les relations d’aide. La parole devient difficile, non pas parce qu’on ne peut pas, mais parce qu’on ne veut pas avoir à expliquer. On attend du psy qu’il ressente, qu’il traduise, qu’il devine. Non par caprice, mais comme réparation d’une absence ancienne.
Le psy face au désir d’être deviné
Dans la relation thérapeutique, cette attente muette peut se transformer en tension : le patient parle peu, puis se décourage, ou accuse le psy de « ne pas comprendre ». Ce n’est pas de la mauvaise volonté, mais la manifestation d’un vœu profond : celui d’être enfin saisi sans avoir à exposer sa vulnérabilité. Si le thérapeute entre trop vite dans le jeu du décryptage, il risque d’alimenter la dépendance au devinement. Mais s’il reste silencieux, il peut réveiller une blessure de non-réponse. L’enjeu est alors de mettre des mots sur l’attente elle-même, et non sur ce qu’elle cache.
L’exemple de Sonia, 42 ans
Sonia commence une thérapie après une rupture douloureuse. Elle parle avec fluidité de sa vie professionnelle, de ses voyages, de ses amis, mais évite toute question intime. Après plusieurs séances, elle dit à voix basse : « J’attendais que vous le voyiez tout seul. » Elle parlait de sa solitude, de sa peur de ne plus être aimée. Elle voulait que le psy comprenne ce qu’elle taisait, parce que « si c’est moi qui le dis, ça ne compte pas ». Cette phrase ouvre un travail plus profond : celui de la valeur de sa parole, de la légitimité de ses besoins, et de son histoire familiale marquée par une mère absente psychiquement. Sonia n’attendait pas seulement une écoute : elle attendait qu’on la voie, sans qu’elle ait à se désigner.
Dire le silence, travailler l’attente
Espérer être deviné, c’est chercher à retrouver une scène originelle réparée : celle d’un lien fusionnel et protecteur. Mais la thérapie ne peut pas rejouer ce fantasme sans limites. Elle peut, en revanche, accueillir l’attente, l’honorer en la nommant, en la reconnaissant. Mettre des mots sur le vœu de devinement, c’est ne plus attendre passivement une compréhension magique, mais entrer dans une élaboration. On passe alors d’un lien idéalisé à un lien vivant. Et c’est parfois en acceptant que le psy ne sache pas tout qu’on commence à se révéler.