Être là sans y être : les troubles de la présence et de l’attention

Certains moments de vie se traversent comme dans un brouillard. On est là, physiquement, on parle, on agit, on répond. Tout semble « normal ». Mais intérieurement, quelque chose manque. Une distance subtile, un léger flottement, comme si l’on se regardait vivre sans vraiment s’y sentir engagé. Ce décalage entre l’acte et le vécu, entre la posture et la présence, traduit parfois un état plus profond qu’une simple distraction : un trouble de la présence, discret mais éprouvant.
Un mode automatique de survie
Ce fonctionnement mécanique, où tout se fait sans que rien ne soit vraiment vécu, n’est pas un hasard ni une paresse. Il peut s’agir d’un mécanisme de protection, mis en place inconsciemment pour ne pas sentir une émotion douloureuse ou une tension intérieure. Rester « en surface », c’est parfois éviter de plonger dans une part de soi qui dérange. Ce mode automatique est souvent le signe d’un refoulement actif, qui demande de l’énergie pour se maintenir, et qui finit par créer une forme de vide existentiel.
La perte du lien au moment
On écoute sans entendre, on mange sans goûter, on échange sans ressentir. Ce n’est pas une absence totale, mais un affaiblissement du lien au présent. On vit « à côté », sans le contact habituel avec l’émotion, l’intention ou le désir. Cette absence intérieure peut surgir après un choc, un stress prolongé, ou même sans cause claire : elle signale un déséquilibre entre le besoin de contrôle et le besoin de sentir. Le moment présent devient alors un décor vide, traversé sans adhésion.
Les signes qui ne trompent pas
Les signes de ce trouble de la présence ne sont pas toujours spectaculaires, mais ils laissent une impression persistante de flottement. On peut ressentir une forme d’étrangeté dans les interactions, comme si l’on parlait sans vraiment se sentir engagé. La mémoire devient floue, même pour les événements récents, ce qui accentue la sensation de déconnexion. La concentration devient difficile, non par fatigue, mais parce que l’attention glisse sans s’ancrer. Parfois, on se surprend à avoir l’impression de jouer un rôle, d’être dans une mise en scène de soi plus que dans une expérience vécue. Et à la fin de la journée, malgré l’activité, une sensation de vide ou d’irréalité persiste, comme si l’on n’avait pas vraiment habité ce qui s’est déroulé.
Un exemple : Camille, 34 ans, « déconnectée » malgré elle
Camille est infirmière. Elle aime son métier, son couple va bien, ses amis sont présents. Pourtant, elle se sent absente à sa propre vie, comme si tout se passait sans elle. En thérapie, elle évoque une période d’enfance marquée par des deuils familiaux qu’elle a « gérés » très tôt. Elle a appris à fonctionner, à s’adapter, mais sans jamais habiter pleinement ses émotions. Aujourd’hui, ce mode défensif la prive de présence. En mettant des mots sur cette disjonction, elle commence à retrouver une forme de contact intérieur.
Réapprendre à habiter le moment
Il ne s’agit pas de « se forcer à être là », mais de recréer les conditions pour se sentir en lien avec ce que l’on vit. Cela peut passer par un ralentissement, par des espaces de silence, par l’expression progressive de ce qui a été figé. Ce retour à la présence n’est pas immédiat, mais chaque fois que l’on sent quelque chose, même infime, le lien se retisse. Être là, ce n’est pas être parfait ou attentif : c’est pouvoir sentir, au moins un peu, que l’on existe dans ce que l’on traverse.