Le fantasme de l’État qui répond à tous nos besoins

Face aux crises, aux inégalités, à l’incertitude, nombreux sont celles et ceux qui se tournent vers l’État comme vers une figure protectrice absolue. Mais derrière les revendications légitimes se glisse parfois un imaginaire plus archaïque : celui d’un État parent, toujours responsable, toujours fautif, toujours redevable. Et si certaines attentes sociales excédaient les fonctions réelles de l’institution, révélant une dette affective déplacée ?
Un transfert d’attente sur le collectif
L’État moderne n’est plus seulement garant de l’ordre, il est aussi porteur de promesses : protection sociale, égalité, réparation. Mais ces fonctions peuvent devenir, inconsciemment, le lieu d’un transfert affectif. Ce n’est plus seulement la société que l’on interroge, mais un Autre supposé puissant, capable, présent — et qui déçoit dès qu’il faillit. Cette attente, excessive par endroits, s’apparente à celle d’un enfant vis-à-vis d’un parent perçu comme absent, injuste ou insuffisamment réparateur.
Une dette symbolique jamais soldée
Dans cet imaginaire, l’État ne fait jamais assez. Chaque aide, chaque mesure, chaque réforme est interprétée comme un rattrapage, mais jamais comme une reconnaissance. L’institution devient une figure coupable par essence, sommée de compenser des manques passés — sociaux, psychiques, historiques. Derrière certaines revendications se niche une exigence implicite : « vous me devez », « vous devez réparer ». Or, aucune politique ne peut répondre à une dette symbolique d’amour ou de reconnaissance.
Le danger d’un lien infantile au politique
Cette position d’attente constante produit une relation déséquilibrée au pouvoir. Le citoyen devient demandeur perpétuel, l’État devient fautif structurel. Ce lien infantile empêche la co-construction, la responsabilité partagée, le conflit adulte. Il entretient une frustration chronique, car l’objet du désir — un État parfait, omniscient, affectivement juste — n’existe pas. Il est fantasmé. Et ce fantasme entretient la colère plus qu’il ne soutient l’action.
Vers une relation plus adulte à l’institution
Sortir de ce fantasme ne signifie pas renoncer aux droits ou au progrès social. Cela suppose de déplacer l’attente : de la plainte vers la participation, du mythe vers le réel. L’État ne peut pas tout, mais il peut beaucoup si les sujets qui le composent se reconnaissent comme tels. C’est une maturité politique que de renoncer à l’idéal parental tout-puissant pour entrer dans une relation plus lucide, plus exigeante, mais aussi plus créatrice.