Psychologie

Les générations ne parlent plus la même langue. Les uns revendiquent bruyamment, les autres se taisent avec amertume. D’un côté, la jeunesse qui dénonce, réclame, conteste. De l’autre, les aînés qui se méfient, se retirent, rappellent leur propre discrétion. Dans l’espace public, ces postures se heurtent plus qu’elles ne dialoguent. La fracture n’est pas seulement idéologique, elle est aussi affective et mémorielle. Ce qui se joue ici, c’est une lutte de légitimité sur qui a le droit de dire, de souffrir, d’être écouté.

Le langage comme ligne de faille

Les jeunes générations ont appris à nommer : le racisme, le sexisme, les violences, les injustices. Elles utilisent un vocabulaire nouveau, souvent universitaire ou militant, pour désigner ce qui autrefois restait flou ou tû. En face, les générations plus anciennes peuvent ressentir ces mots comme des accusations, voire des formes d’hostilité culturelle. Ce décalage linguistique crée un malentendu profond : ce que les uns voient comme une libération du discours, les autres l’interprètent parfois comme une agression ou une remise en cause de leur dignité.

Mémoire vécue contre mémoire lue

Les aînés disent souvent : “Nous aussi, on s’est battus.” Mais ce combat, ils l’ont vécu dans un contexte de silence, d’effort, de discrétion. La reconnaissance, ils l’ont souvent cherchée dans le travail, la stabilité, le mérite. Les plus jeunes, eux, grandissent dans un monde saturé de récits, où la visibilité devient une forme de justice. Leurs références sont celles de livres, de témoignages, de luttes théorisées. Ce ne sont pas des vécus opposés, mais des formes d’expérience hétérogènes. Et quand ces mémoires s’ignorent, elles se blessent mutuellement.

Le soupçon d’ingratitude

Ce qui rend la fracture générationnelle si sensible, c’est qu’elle touche à la reconnaissance. Les anciens ont le sentiment que leurs sacrifices ne sont pas compris. Les jeunes, que leur souffrance n’est pas crue. La revendication paraît trop brutale, le silence trop pesant. Il y a de la douleur dans les deux camps. Mais cette douleur n’est pas partagée, elle est comparée. Chacun pense que l’autre minimise. Cela ne produit pas de conflit frontal, mais une série de ressentiments croisés, de blessures sans adresse.

Ouvrir un espace commun de parole

Sortir de cette opposition suppose une double exigence : que les plus jeunes reconnaissent l’histoire muette de leurs aînés, et que ces derniers acceptent les nouvelles formes de narration. Ce n’est pas une question d’accord, mais d’écoute. L’espace public ne doit pas être une arène où les récits s’annulent, mais un lieu où les mémoires se racontent, même si elles ne se ressemblent pas. Il ne s’agit pas de réconcilier par le consensus, mais de cohabiter dans la complexité. Le silence a sa mémoire, la parole sa vérité, et chaque génération sa manière d’habiter l’injustice.

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