Quand le groupe associatif rejoue la fratrie

Les collectifs associatifs ne sont pas seulement des lieux d’action ou de partage de valeurs. Ils deviennent, pour certains, des scènes où se rejouent des positionnements affectifs anciens, issus de la cellule familiale. Rivalités silencieuses, recherche de validation, sentiment d’injustice ou besoin d’être reconnu peuvent surgir au détour d’une réunion ou d’un projet. Derrière l’engagement, ce sont parfois les dynamiques fraternelles, dans leur intensité et leur ambivalence, qui s’activent à nouveau.
Une fraternité idéalisée mais compétitive
Nombre d’associations revendiquent des valeurs de solidarité, d’horizontalité, d’égalité. Mais l’inconscient, lui, rejoue souvent des scènes bien moins idéales : celles de la compétition fraternelle, du besoin d’être vu, de se sentir meilleur ou plus légitime. Les membres ne sont plus seulement des collègues engagés, mais deviennent symboliquement des frères et sœurs : on cherche à se distinguer, à capter l’attention des figures d’autorité, à ne pas être relégué. Ces mouvements, rarement nommés, peuvent fragiliser les collectifs, créer des tensions sourdes, des exclusions informelles. Ils disent surtout à quel point l’engagement peut être chargé de désirs plus anciens : ne plus être l’enfant oublié, ne plus perdre la place que l’on a enfin gagnée.
Le besoin d’être “le bon élève” du groupe
Dans ces dynamiques, certains adoptent inconsciemment la posture du “bon élève” : toujours présent, irréprochable, en quête d’approbation, comme pour enfin recevoir ce qu’ils n’ont pas eu dans leur fratrie. L’association devient alors une scène de réparation, mais aussi de tension : car plus on veut être préféré, plus on craint d’être rejeté. Le moindre signe d’indifférence, de désaccord ou de mise à l’écart réactive des blessures profondes. Ces affects ne concernent pas toujours la situation présente : ils sont ancrés dans des histoires affectives où la place n’était jamais assurée, où l’amour semblait conditionné à la performance. Le groupe devient alors un test permanent, parfois épuisant.
Exemple : Antoine, 35 ans, l’exemplaire silencieux
Antoine, 35 ans, est investi dans une association humanitaire. Il est respecté, écouté, mais il dit se sentir tendu, inquiet dès qu’une décision est prise sans lui. Il avoue vivre chaque omission comme une blessure, sans oser l’exprimer. En thérapie, il revient sur une enfance marquée par une rivalité invisible avec un frère plus brillant, plus valorisé. Il comprend que son engagement associatif n’est pas seulement un choix altruiste, mais aussi une scène de revanche et de validation. Il cherche à être irréprochable, à ne jamais décevoir. Il réalise que cette exigence le coupe d’un lien plus vivant, plus égalitaire. Il commence à se permettre d’être moins parfait, de dire quand ça ne va pas, sans craindre de perdre sa place.
Vers une fraternité consciente
Le groupe n’est pas une famille, mais il peut en rejouer les affects les plus profonds si l’on n’y prend pas garde. Reconnaître les projections fraternelles à l’œuvre, les jalousies silencieuses ou les blessures anciennes permet d’assouplir le lien, de l’habiter autrement. Ce n’est qu’en cessant de chercher à être préféré que l’on peut commencer à être soi dans le groupe, non plus pour compenser un manque, mais pour contribuer en liberté.