Psychologie

Rejeter le pouvoir peut sembler un geste politique fort, un positionnement éthique, une dénonciation légitime de la domination. Mais dans certains cas, ce rejet prend la forme d’une haine viscérale, excessive, qui dépasse l’analyse pour devenir un affect brut. Cette haine-là, plus que de simples idées, porte en elle une histoire silencieuse, un rapport ancien à l’autorité, souvent rejoué à l’insu de celui ou celle qui l’exprime.

Une haine nourrie par la lucidité

Il serait erroné de disqualifier toute critique du pouvoir comme irrationnelle. Certains refus s’appuient sur une analyse fine des mécanismes d’oppression, des rapports inégalitaires, des violences institutionnelles. Dans ce cas, la révolte est lucide, construite, fondée sur une volonté de transformation. Elle s’appuie sur une conscience politique aiguë, sur l’observation des abus structurels, sur une exigence de justice. La haine du pouvoir devient alors un langage politique, un outil de mobilisation, une forme d’hygiène démocratique. Elle rappelle que l’autorité n’est jamais neutre et qu’elle mérite d’être questionnée en permanence. Dans ce cas, elle n’est pas une simple réaction, mais une construction intellectuelle et émotionnelle cohérente.

Quand la haine dépasse l’objet

Mais parfois, cette haine semble disproportionnée, automatique, sans nuance. Elle ne distingue plus les formes de pouvoir, elle englobe tout ce qui incarne une autorité : chef, police, école, institution, structure. Le rejet devient global, inconditionnel, comme si toute forme de pouvoir était en soi illégitime, corrompue, menaçante. Ce rejet peut trahir un déplacement. La cible politique sert alors d’écran à une autre figure, plus ancienne, plus intime. Le pouvoir devient le double symbolique d’un parent autoritaire, d’une parole humiliée, d’un lien d’enfance non digéré. Ce que l’on hait, ce n’est pas tant une fonction que ce qu’elle réveille. À travers l’État, le supérieur ou l’enseignant, c’est une autorité originelle, intérieurement restée toxique, que l’on continue de combattre.

Le pouvoir comme figure transférentielle

Pour certains, le pouvoir réactive une scène psychique ancienne. Celle d’un rapport asymétrique, d’une soumission forcée, d’un sentiment d’impuissance vécu très tôt. Cela peut remonter à une éducation autoritaire, à des injonctions violentes, ou même à des moments où l’enfant n’a pas été reconnu dans sa parole. Dans ce contexte, toute autorité est vécue comme un risque de répétition. Elle est anticipée comme menaçante, même si elle ne l’est pas objectivement. Le militantisme se teinte alors d’une crispation affective, d’un besoin de revanche ou de réparation. La cause juste est habitée par un affect ancien, ce qui rend toute négociation, tout compromis, insupportable. Ce n’est plus la structure qu’on conteste, mais le sentiment d’avoir été un jour privé de sa dignité.

Penser sans répéter

Sortir de cette dynamique suppose une forme de reconnaissance intime. Il est possible de refuser un pouvoir injuste sans rejeter toute forme d’autorité. Mais pour cela, il faut pouvoir différencier : entre le pouvoir abusif et l’autorité protectrice, entre la verticalité figée et la responsabilité assumée. Cela demande de démêler le politique du psychique, l’analyse de la projection. Cette prise de conscience ne diminue pas la puissance de la critique, elle l’affine. Elle permet de redevenir sujet, plutôt que d’être agi par une mémoire invisible. C’est en reconnaissant ce qui, dans la haine du pouvoir, relève de l’histoire personnelle, que l’on peut redevenir capable d’inventer d’autres formes de relation à l’autorité. La haine du pouvoir, lorsqu’elle devient réflexion et non simple rejet, peut alors redevenir un acte de pensée libre, et non une répétition déguisée.

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