Solitude et honte de soi : quand le repli protège l’image fragile

Certaines solitudes ne relèvent ni d’un goût personnel ni d’un besoin de calme. Elles sont le résultat d’une stratégie silencieuse : se retirer pour ne pas s’exposer, fuir le regard de l’autre pour ne pas avoir à affronter l’image que l’on redoute de renvoyer. Ces solitudes défensives sont souvent mal comprises, car elles prennent l’apparence d’une indépendance alors qu’elles dissimulent une honte plus ancienne, plus profonde.
La honte comme point d’origine
La honte n’est pas toujours visible. Elle ne s’exprime pas forcément par le rouge aux joues ou la gêne manifeste. Elle agit en profondeur, comme une tache invisible qui déforme le regard sur soi. Quand cette honte est ancienne, ancrée dans l’enfance ou l’adolescence, elle devient une composante de l’identité. Celui ou celle qui la porte apprend à éviter les situations d’exposition, à se fondre, à se taire. La solitude devient alors un refuge, une manière d’échapper à la scène sociale perçue comme menaçante. Ce n’est pas le lien qui est redouté, c’est le miroir qu’il tend.
Une image de soi trop fragile pour supporter le lien
Dans la relation à l’autre, il y a toujours une forme de mise en jeu narcissique. Se montrer, c’est prendre le risque d’être vu, évalué, jugé. Pour certains, ce risque est trop élevé, car l’image d’eux-mêmes est trop fissurée, trop vulnérable. Ils préfèrent s’extraire de la scène, se replier dans un espace où l’image n’est plus en jeu. Ce n’est pas un choix conscient, mais une économie psychique. La solitude leur permet de conserver un sentiment de contrôle, d’éviter le sentiment d’effondrement que pourrait provoquer le regard désapprobateur, ou simplement attentif, d’un autre.
Exemple : Chloé, trop visible, trop honteuse
Chloé, 29 ans, a progressivement réduit ses interactions sociales. Elle refuse les invitations, ne répond plus aux appels, sort le soir pour éviter les regards. Elle dit qu’elle aime être seule, mais avoue en séance qu’elle a « honte de ce qu’elle est devenue ». Depuis qu’elle a quitté son travail et pris du poids, elle évite toute situation où elle pourrait croiser d’anciens collègues ou amis. Son isolement est devenu un mur protecteur, mais aussi une prison. En thérapie, elle met au jour une honte plus ancienne encore, liée à une enfance marquée par les moqueries et la mise à l’écart. Ce n’est pas le regard des autres qu’elle fuit, mais celui qu’elle croit qu’ils auront sur elle.
Revenir à soi sans se fuir
Sortir de cette solitude ne passe pas par une injonction à « s’ouvrir » ou à « aller vers les autres ». Il faut d’abord entendre la fonction de ce repli, reconnaître qu’il protège quelque chose de très vulnérable. Ce n’est qu’en nommant la honte, en lui donnant un lieu d’expression, qu’il devient possible de restaurer une image de soi plus souple, plus vivable. La solitude cessera alors d’être un camouflage pour devenir un espace de reconstruction, d’où il sera possible, peut-être, de réapparaître autrement.