Divertissement dans l’information : le brouillage des formats

L’information ne se contente plus de transmettre des faits, elle emprunte de plus en plus les codes du spectacle. Plateaux lumineux, musique de fond, formules choc, rythmes saccadés : les dispositifs journalistiques intègrent des éléments issus du divertissement, au point de brouiller les frontières entre sérieux et distraction. Ce glissement ne relève pas d’un simple style, mais d’un changement profond dans la manière dont les médias pensent leur rôle. À force de vouloir captiver, l’information prend le risque de perdre sa fonction critique, au profit d’une logique de flux agréable, mais désamorcée.
Quand l’infodivertissement remplace la gravité
Sur de nombreuses chaînes, les sujets graves sont traités avec les outils de la légèreté : ton faussement neutre, montage dynamique, transitions visuelles ludiques. Un reportage sur une crise sociale pourra ainsi être encadré par deux séquences sur des faits divers étonnants, dans une émission de type Quotidien (TMC). Ce traitement dilue la gravité du contenu, tout en lui donnant un vernis de consommation fluide. À force de tout lisser, l’émotion devient superficielle, le regard glisse. L’information ne dérange plus, elle divertit. Cette stratégie peut attirer un public plus large, mais elle modifie en profondeur la manière dont les sujets sont perçus : moins comme enjeux collectifs que comme moments de consommation personnelle.
Le présentateur comme personnage
La spectacularisation ne touche pas seulement le contenu, elle redéfinit aussi la posture des journalistes. Certains deviennent des figures de l’entertainment, porteurs d’une image plus que d’une parole. Dans des formats hybrides comme Quotidien ou C à vous, l’animation repose sur une scénarisation précise des rôles : l’humoriste, l’expert, le chroniqueur décalé. Le présentateur n’est plus seulement un passeur d’information, il est un acteur central du dispositif narratif. Cette mise en scène peut enrichir certains échanges, mais elle fragilise aussi la frontière entre analyse et spectacle. L’invité n’est plus là pour être interrogé, mais pour participer à un scénario rythmé. Ce cadre transforme parfois la parole politique en simple décor.
Le public piégé entre curiosité et confusion
Le brouillage des formats a un effet direct sur la réception de l’information. Le spectateur est constamment ballotté entre légèreté et gravité, sans repères clairs sur ce qui relève de l’analyse ou de l’amusement. Une étude de l’INA a montré que de nombreux jeunes téléspectateurs considèrent les émissions hybrides comme leur principale source d’information, sans toujours distinguer le registre des contenus. Ce flou produit une forme de confusion cognitive : on est informé et distrait en même temps, mais sans savoir comment penser ce qu’on a vu. Cette ambivalence renforce une passivité critique : l’information est intégrée sans être interrogée, car son cadre même empêche d’en cerner les enjeux.
Revenir à une lisibilité des intentions
Il ne s’agit pas d’opposer frontalement information et divertissement, mais d’interroger leur emboîtement. L’enjeu est moins de rejeter la forme que de rendre visibles ses effets sur le fond. À force de dissimuler les intentions derrière une esthétique fluide, les médias contribuent à une confusion collective. Revenir à une clarté des formats, expliciter les registres, assumer le rythme ou la gravité, permettrait de restaurer une confiance aujourd’hui fragilisée. Car ce n’est pas le divertissement qui menace l’information, mais l’indifférenciation qui érode sa fonction critique.