Je me sens plein d’émotions, mais je ne parviens pas à les déverser

Il arrive que l’intérieur déborde sans qu’aucune goutte ne tombe. On se sent plein, chargé, presque saturé, et pourtant rien ne sort. Les émotions tournent en boucle, les pensées s’entassent, mais tout reste coincé dedans. C’est un état paradoxal : tout en soi semble prêt à exploser, et dans le même temps, impossible de parler, de pleurer, de déposer ce qui pèse. On voudrait s’alléger, mais on ne trouve pas l’ouverture par où cela pourrait passer.
Un trop-plein silencieux
Ce trop-plein n’est pas visible à l’extérieur. On continue à sourire, à faire bonne figure, à répondre aux sollicitations. Mais en dedans, ça gronde. C’est comme une marée intérieure qui monte, sans jamais redescendre. Elle fatigue, elle irrite, elle crée un état de tension constante, comme si le corps et l’esprit cherchaient désespérément une soupape. Et pourtant, le cri reste coincé, la larme ne vient pas, la parole s’étrangle à peine née.
Le verrou du contrôle
Pour beaucoup, cette incapacité à déverser ce qu’on ressent n’est pas un hasard. Elle est liée à une habitude ancienne : celle de contenir, de tenir bon, de ne pas déranger. On a appris, souvent très tôt, à ne pas trop montrer, à ne pas trop dire. À garder pour soi ce qui déborde, dans l’idée que cela passerait. Mais ce qui est contenu trop longtemps finit par peser. Et ce poids, avec le temps, devient douleur sourde, colère muette, tristesse sans larmes.
Quand la parole ne suffit pas
Même quand on essaie d’exprimer ce qu’on ressent, les mots semblent inadaptés. Soit ils minimisent, soit ils déforment. Il y a un décalage entre ce qui brûle à l’intérieur et ce qu’on parvient à dire. Cette impuissance à traduire l’émotion peut renforcer le sentiment d’isolement, voire de honte. On se demande pourquoi c’est si difficile, pourquoi les autres semblent y arriver, pourquoi nous, on reste plein, sans jamais pouvoir vider.
Un exemple : Aurélien, 34 ans, et l’émotion figée
Aurélien vient en thérapie après une rupture. Il dit ne pas arriver à pleurer, à crier, à sentir vraiment ce qui se passe. Il se sent engourdi, comme coupé de lui-même. Mais à mesure que les séances avancent, il découvre une autre vérité : il ressent beaucoup, mais tout reste bloqué. Il réalise qu’enfant, il avait appris à se contenir pour ne pas inquiéter ses parents. Cette stratégie, autrefois utile, devient aujourd’hui un obstacle. Et ce qu’il prenait pour de l’indifférence est en réalité un trop-plein gelé.
Quand la thérapie devient un espace de circulation
La thérapie n’a pas pour but de “vider” quelqu’un, mais de permettre que ce qui est en soi puisse enfin circuler. Elle offre un espace où l’on peut déposer sans avoir à justifier, structurer ou tempérer. Ce qui était bloqué trouve petit à petit des chemins d’expression, parfois par la parole, parfois autrement. Le trop-plein n’est plus un poids solitaire, il devient un matériau à écouter, à apprivoiser, à transformer. Et ce mouvement-là, lent, profond, permet souvent de retrouver un rapport plus souple à soi.