Psychologie

On associe spontanément la dépression à la tristesse, aux larmes, à une douleur perceptible. Pourtant, de nombreuses personnes en souffrance ne présentent aucun de ces signes. Elles ne pleurent pas, ne se plaignent pas, ne semblent pas même malheureuses — mais parlent d’un vide, d’un désintérêt profond, d’une sensation d’absence d’elles-mêmes. Cette forme silencieuse et souvent invisible de dépression échappe aux représentations classiques et retarde souvent la demande d’aide. Parce qu’elle ne crie pas, on la pense moins grave. Elle n’en est que plus tenace.

Le vide comme défense contre l’effondrement

Dans certaines dépressions, la tristesse a été évacuée, refoulée, débranchée. Le sujet ne ressent plus rien, ou presque. Il continue de fonctionner, mais mécaniquement. Ce vide n’est pas un simple état passif : c’est souvent une défense puissante contre un effondrement émotionnel que l’appareil psychique ne peut pas supporter. La tristesse, dans ce cas, serait trop intense, trop ingérable. Alors le psychisme coupe l’accès à l’affect pour protéger la structure. Ce qui reste, c’est un désinvestissement global du monde, des autres, de soi. Une vie sans relief.

Exemple : une fatigue qui n’en finit pas

David, 47 ans, consulte pour une fatigue persistante. Il dort, mange, travaille, mais se sent vide. Il ne dit pas qu’il est triste. Il dit qu’il ne sent plus rien. Au fil des séances, il se souvient d’un épisode traumatique ancien jamais nommé, jamais intégré, qui l’a laissé figé. Il n’a jamais pu pleurer. À l’époque, il fallait « tenir ». Depuis, c’est le corps qui fatigue à force de neutraliser l’émotion. Sa dépression n’est pas bruyante. Elle n’a pas de mot. Mais elle habite toute sa vie. Ce n’est que dans l’espace thérapeutique qu’il commence à la sentir, autrement qu’en creux.

Une souffrance difficile à reconnaître

Parce que cette forme de dépression ne s’accompagne pas de plainte visible, elle est souvent banalisée. Le sujet lui-même ne sait pas qu’il souffre. Il se croit paresseux, démotivé, inintéressant. Il ne consulte pas un psy pour “dépression”, mais pour des troubles du sommeil, des douleurs diffuses, une fatigue morale. L’entourage ne comprend pas. L’absence d’émotion visible masque le désespoir intérieur. La tristesse, en étant absente, n’a pas cessé d’exister : elle s’est retirée, elle a changé de lieu, elle s’est déposée ailleurs — dans le silence, dans la perte d’élan, dans l’indifférence à soi.

Retrouver la tristesse pour renouer avec soi

Le travail thérapeutique vise souvent à réhabiliter une tristesse interdite, honteuse ou anesthésiée, pour que le vide retrouve une forme de densité émotionnelle. David, peu à peu, s’autorise à dire qu’il aurait voulu pleurer. À sentir qu’il aurait aimé qu’on l’écoute. Ce retour du sentiment, même douloureux, est un signe de vitalité psychique. La tristesse peut alors devenir un passage, un mouvement, plutôt qu’un gouffre. Et ce n’est qu’en traversant ce qu’il avait anesthésié que le vide commence à se transformer en présence.

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