Liberté, égalité, fraternité : notre devise a-t-elle encore un sens ?

Affichés sur les frontons, répétés dans les discours, ces mots forment le socle symbolique de la République. Mais que désignent-ils encore dans les pratiques, les vécus, les corps ? Loin d’être des évidences, ces valeurs sont devenues des zones de tension. Elles ne disparaissent pas. Elles se déplacent, se transforment, parfois se vident. Pour qu’elles puissent continuer à faire lien, il faut interroger ce qu’elles signifient concrètement aujourd’hui, dans une société traversée par les inégalités, les fractures identitaires et la défiance.
La liberté dans un monde sous surveillance
On célèbre la liberté comme fondement de l’émancipation. Et il faut le redire : vivre dans un pays démocratique, où l’on peut débattre, critiquer, choisir, manifester, est une chance précieuse que beaucoup n’ont pas. Cette liberté politique, même imparfaite, constitue un socle essentiel. Mais à l’ère du numérique, cette liberté semble parfois sous condition. Libre de consommer, de s’exprimer, mais sous les algorithmes. Libre de choisir, mais sans réelles marges pour agir concrètement sur sa trajectoire. La liberté devient paradoxale : elle est partout proclamée, mais rarement vécue comme maîtrise réelle de son existence.
L’égalité comme horizon introuvable
Jamais les discours sur l’égalité n’ont été aussi présents. Et pourtant, les inégalités demeurent massives, visibles, vécues. L’égalité promise se heurte à la réalité des discriminations, de la reproduction sociale, de l’accès différencié aux droits. Cela ne la rend pas caduque, mais instable. Pour certains, elle reste une utopie à atteindre. Pour d’autres, elle devient un mot vide, une promesse non tenue. L’égalité ne peut plus être pensée comme un acquis abstrait, mais comme une exigence sans cesse relancée, enracinée dans les situations concrètes.
La fraternité, invisible et fragile
Moins utilisée, plus discrète, la fraternité est souvent perçue comme une valeur douce, presque naïve. Et pourtant, c’est peut-être la plus subversive. Car elle suppose une attention à l’autre sans condition, un lien qui ne passe pas par le mérite ou l’identité. Mais comment faire vivre la fraternité dans une société concurrentielle, où chacun est incité à se distinguer, à se protéger, à performer ? Elle ne peut renaître que dans des lieux concrets : entraide locale, gestes quotidiens, récits partagés. Elle n’est pas spectaculaire, mais elle résiste en silence.
Faire de ces mots des pratiques, non des reliques
Plutôt que de sacraliser ces mots ou de les disqualifier, il faut les remettre en circulation vivante. Les faire redescendre du fronton pour les éprouver dans les écoles, les débats, les actes. Ils ne doivent pas être des signes figés, mais des invitations à penser ensemble ce qui nous relie malgré les écarts. L’égalité, la liberté et la fraternité ne sont pas des points de départ, mais des chemins à réinventer sans cesse, au plus près de ce que nous vivons, de ce que nous refusons, de ce que nous espérons.