Likes, vues, partages : le besoin de preuve externe d’existence

Une photo postée, une story publiée, une vidéo partagée. Et aussitôt, la vérification commence. Combien de likes ? Qui a vu ? A-t-on commenté ? Ce réflexe, désormais intégré dans les usages quotidiens, trahit une dynamique bien plus profonde qu’un simple jeu numérique : le besoin de se sentir confirmé·e, validé·e, regardé·e, pour exister.
L’existence à travers les signes visibles
Les réseaux sociaux ont transformé l’expression de soi en performance mesurable. Ce qui, autrefois, relevait du lien direct ou du ressenti intérieur, passe aujourd’hui par des indicateurs visibles, chiffrables. Le like devient une forme de regard, la vue une présence, le partage un écho. À travers eux, l’identité semble validée. Mais ce besoin d’être vu ne vient pas de la technologie : il s’ancre dans un désir plus ancien, celui de se sentir exister dans l’œil de l’autre, d’avoir une preuve tangible que l’on compte.
Une dépendance subtile
Ce n’est pas l’outil qui crée le manque, c’est le manque qui investit l’outil. Lorsque l’estime de soi repose sur la réaction extérieure, chaque absence de retour devient une micro-fracture. Il ne s’agit pas d’orgueil, mais d’une dépendance invisible à une forme de reconnaissance. Une publication qui « ne marche pas » ne fait pas que décevoir, elle fait vaciller. Le doute surgit : suis-je toujours visible ? Est-ce que ce que je dis, ce que je montre, a encore une valeur ? L’algorithme, en rendant tout mesurable, renforce cette fragilité.
Le piège du réflexe automatique
La quête de validation peut devenir un automatisme. On ne publie plus par envie, mais pour ne pas disparaître. On consulte compulsivement, on ajuste, on supprime parfois. Ce geste, qui semblait libre, devient une réponse à une angoisse sourde : celle d’être ignoré·e, oublié·e, insignifiant·e. Plus on dépend de la réponse, moins on ressent ce que l’on exprime. On entre alors dans une boucle : exister par la trace, par le signal, par le retour. Le silence devient insoutenable, car il équivaut à une absence d’être.
Retrouver une validation intérieure
Revenir à soi, c’est questionner ce qui, dans cette dynamique, cherche désespérément à être confirmé. Ce n’est pas l’attention qui est problématique, mais la croyance qu’elle nous fonde. Il est possible de publier sans attendre, de montrer sans s’effacer, de dire sans chercher à convaincre. Cela suppose un retour à une forme d’intimité psychique, là où l’existence ne dépend plus uniquement d’un chiffre ou d’un clic. Ce n’est pas une déconnexion des réseaux, mais un déplacement du centre de gravité. Exister sans preuve visible, c’est retrouver une forme d’ancrage intérieure, plus fragile peut-être, mais infiniment plus libre.