Minimiser son mal-être : une défense contre la peur de ne pas être cru

Il n’est pas rare d’entendre des patients dire qu’ils ne vont « pas si mal », qu’il y a « pire », ou qu’ils « exagèrent sûrement ». Cette posture défensive, qui consiste à minimiser son propre mal-être, n’est pas seulement une forme de pudeur ou de modestie : elle traduit souvent une peur plus ancienne et plus profonde, celle de ne pas être cru, de voir sa souffrance disqualifiée ou tournée en dérision. Derrière la minimisation, il y a une angoisse du rejet, une mémoire de non-reconnaissance, parfois une répétition silencieuse de situations où la douleur psychique a été ignorée ou niée.
Quand la plainte a été déformée ou renvoyée
Nombreuses sont les personnes qui, dans leur histoire, ont appris que la plainte dérange. Trop de douleur exprimée pouvait être moquée, punie ou ignorée, et ce vécu laisse des traces durables dans le rapport à sa propre souffrance. La peur de passer pour quelqu’un qui exagère, qui dramatise ou qui cherche l’attention est profondément ancrée. Dans ce contexte, minimiser devient un mécanisme de protection : mieux vaut dire « ce n’est rien » que de risquer une humiliation ou un désaveu. Cette défense se rejoue même dans le cabinet du psy, lieu pourtant destiné à accueillir le malaise.
Exemple : apprendre à se dire sans s’excuser
Myriam, 39 ans, consulte après des mois d’insomnies et d’épuisement. En début de séance, elle précise qu’elle « sait que d’autres vivent des choses bien plus graves ». Elle passe du temps à justifier son mal-être, à le relativiser, comme si elle devait prouver qu’elle a le droit de souffrir. En approfondissant, elle évoque une enfance où chaque expression de chagrin était accueillie par un « arrête ton cinéma ». Pour Myriam, être entendue sans être jugée est une nouveauté. C’est dans ce nouveau cadre, lentement, qu’elle commence à parler sans se surveiller, sans s’excuser d’exister.
La minimisation comme résistance à la vulnérabilité
Minimiser sa souffrance, c’est parfois essayer de garder la maîtrise, de ne pas céder à une angoisse plus profonde : celle de découvrir à quel point on a été seul face à ce que l’on vivait. Admettre qu’on souffre, c’est aussi s’exposer à revivre ce moment où la parole n’a pas été reçue, où le regard de l’autre a manqué. La crainte de ne pas être cru est alors moins une peur de l’autre que la répétition d’un abandon ancien. Elle protège, mais elle isole. Elle empêche parfois le lien de se construire vraiment, même dans l’espace thérapeutique.
Pouvoir dire sans se justifier : un pas vers la réparation
Sortir de cette minimisation suppose un accueil sans condition. Il ne s’agit pas de convaincre que l’on souffre, mais de s’autoriser à être entendu, même dans l’ambivalence, même dans le doute. Myriam, en cessant de relativiser son état, découvre qu’elle peut nommer des choses plus profondes, plus archaïques. Elle ne cherche plus à valider son discours, mais à le laisser exister. Ce déplacement, discret mais structurant, permet à la souffrance de s’élaborer, plutôt que d’être refoulée. Et c’est dans cette reconnaissance intime que commence parfois la réparation psychique.