Psychologie

On pourrait croire que sortir de la solitude est un soulagement, une avancée vers la réparation. Mais pour certaines personnes, c’est précisément l’ouverture au lien qui réactive des angoisses profondes, archaïques, difficilement identifiables. Ces peurs ne sont pas récentes : elles prennent racine dans les premières expériences d’attachement, là où l’angoisse de perdre, de ne pas être aimé ou de ne pas exister s’est imprimée dans le corps. L’appel du lien ne répare pas toujours, il déstabilise, parce qu’il vient heurter une mémoire affective encore vive.

L’angoisse de séparation masquée par la solitude

Certaines personnes vivent seules depuis des années, non pas par goût de l’indépendance, mais parce que cette position les met à l’abri d’un danger qu’elles ne peuvent nommer. Dès que le lien se profile, une tension sourde s’installe, une inquiétude qui n’a pas de mot mais qui pousse au retrait. C’est l’angoisse de séparation, paradoxalement réveillée non par l’absence de l’autre, mais par sa présence. S’ouvrir à la relation, c’est risquer l’attachement, et donc l’arrachement. L’organisme psychique préfère parfois éviter la scène tout entière plutôt que de revivre l’instant du manque. La solitude devient alors une forme d’anesthésie, une protection contre le retour du manque originaire.

Le retour du refoulé dans la promesse du lien

Le lien intime n’est jamais neutre : il réactive des représentations anciennes, des attentes enfouies, des douleurs non digérées. L’inconscient ne distingue pas le présent du passé ; il rejoue. Et si le premier lien a été insécurisant — mère absente, rejetante ou imprévisible — alors la proximité contemporaine vient réveiller une mémoire du rejet. On croit désirer l’autre, mais on se défait de lui sans comprendre pourquoi. Les comportements deviennent ambivalents : désir d’être rejoint suivi d’un retrait brutal, moments de fusion puis de fermeture. Le sujet n’a pas peur du lien en soi, mais de ce que le lien réveille : l’abandon ancien, encore actif dans le corps.

Exemple : Hélène, fuir avant de ressentir

Hélène, 41 ans, raconte qu’à chaque fois qu’un homme devient attentionné avec elle, elle commence à se sentir nerveuse, irritable, voire méfiante. Elle dit qu’elle s’ennuie soudain, qu’elle préfère « retrouver sa paix ». En thérapie, elle réalise que sa mère était très peu présente dans ses premières années, hospitalisée longuement. Elle identifie un schéma : dès qu’un lien devient stable, une partie d’elle se sent à nouveau exposée à une absence brutale. Plutôt que de revivre cette douleur, elle coupe. Elle comprend que sa peur n’est pas celle de la relation, mais celle de l’arrachement qui pourrait suivre. Son inconscient préfère n’avoir rien plutôt que de perdre à nouveau.

Rendre possible un lien habitable

Ces mécanismes ne se dissolvent pas avec la volonté. Ils demandent à être reconnus, nommés, traversés, parfois longuement. Ce n’est qu’en acceptant que la peur est ancienne, qu’elle ne parle pas seulement du présent, qu’on peut commencer à différencier ce qui est du passé de ce qui peut advenir. Le lien devient alors moins menaçant : il n’est plus confondu avec la blessure. Il peut commencer à exister pour lui-même, et non comme la scène rejouée d’un abandon fondateur. C’est dans ce déplacement que s’ouvre la possibilité d’une relation plus paisible, plus juste, plus habitée.

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